About Me Actus Expo Magazine @ Galerie 12 Mail

Magazine, un fanzine underground (1980 – 1987)

Texte pour l’expo

Le but de Magazine était de créer un fanzine gay heureux. Dès le début, on nous a traités de fachos car on voulait un fanzine 100% masculin, totalement séparatiste, obsédé par l’underground. Le hasard dictait le choix des interviews. Si un ami disait : « Je peux faire une interview de Paul Bowles », on disait oui, même si à l’époque, je ne connaissais pas Paul Bowles. Si Patrick Sarfati voulait faire une interview de Raymond Voinquel ou de Willy Maywald, il suffisait qu’il me dise qu’il les considérait comme des géants de la photographie des années 40 et 50 et ça me suffisait. Et tous ces amis autour de nous avaient tellement de flair que ce fut des années plus tard, que Voinquel ou d’autres furent vraiment reconnus dans le milieu de l’art.

J’ai eu plusieurs mentors dans la vie. Mon frère Lala a été le premier, Misti fut le second. En 1977, quand je suis arrivé à Paris, il était la première personne à me parler de maquette, de charte graphique, de typos. Misti était allé aux Beaux Arts ou un truc comme ça et il faisait partie de cette génération de lettristes qui avaient appris à dessiner les lettres, littéralement, au crayon. Il fut le premier à me parler de Peignot, de la signification de certaines typographies, leur histoire. Encore aujourd’hui, quand je regarde un épisode de « The Wire » avec la typo Peignot sur les voitures du Baltimore Police Department, je ne peux m’empêcher de pointer du doigt : « Oh, une Peignot ! ».

En 1977, Misti avait lancé le premier fanzine gay de son époque, Gaie Presse, avec l’aide de Jean-Philippe, Maxime Journiac et JPP. En 1980, je lançais Magazine avec Misti. On a choisi la typo de la cover, l’Eras Bold, parce qu’on l’avait tous les deux remarqué sur les génériques de séries télé américaines de deuxième ou troisième zone. À l’époque, personne n’utilisait cette typo, elle était trop vulgaire, trop cheap, trop commerciale. Sept ans plus tard, elle était partout et on la voit même dans le générique de « Full Metal Jacket » de Stanley Kubrick. Enough said.

Nous étions passionnés de photographie masculine et d’art érotique. Nous savions que les années 50, 60 et 70 avaient été riches en création, même si les photographies ou les dessins d’hommes nus étaient diffusés en cachette. C’était de l’art illégal. En tant que jeunes de 20 ans en 1980, post punk et tout, Magazine devait être le lien entre la modernité du portrait (Michel Amet) et la préciosité de l’après-guerre (Erté). Nous admirions ces vieux messieurs et ces folles qui nous avaient précédés et qui avaient préparé, sans le savoir, notre indépendance. Nous rêvions de publier quelques miettes de leur art, si c’était possible.

J’ai travaillé comme groom dans un hôtel de la rue l’Arcade pour payer les dettes des imprimeurs. De 1980 à 1987, Magazine a été au centre de ma vie. Quand les gens me voyaient, ils ne demandaient pas comment j’allais, ils demandaient : « Comment va Magazine ? ». Avec les années, Magazine est devenu une revue gay internationale, avec des photographes français, hollandais, allemands, suisses, américains. Il n’y avait pas de revue gay aussi belle à travers le monde, à part Folsom à San Francisco. Nous avons préparé la voie pour Butt.

Pendant les 7 années de Magazine, Misti et moi avions l’impression confuse que le contenu de cette revue (et fanzine à la fois, j’y tiens) finirait par avoir du succès. Nous avons interviewé des artistes qui sont moins connus aujourd’hui, mais quand on a publié leur interview, ils étaient majeurs dans un domaine. On parle moins de Tan Giudicelli, par exemple, mais à l’époque la vitrine de sa boutique de la rue de Tournon était la plus belle de Paris, un endroit qu’il fallait regarder, comme celle de Zandra Rhodes à Londres ou celle de Missoni rue du Bac. Magazine captait l’esprit de son époque sous à un angle très fan, très « à la base ». Mais la plupart des interviews concernaient des artistes déjà célèbres dont la plupart étaient au moment de leur révélation, quand le milieu de l’art les propulsait vers le succès.
Nous étions en admiration devant la revue suisse Der Kreise des années 40 à 60, mais je n’en ai vu qu’un exemplaire ou deux chez Patrick Sarfati, qui possède une des plus grandes bibliothèques d’art gay en France. Ce que j’avais vu m’avait tellement ébloui que j’en faisais des rêves. Les premières photos de nu non signées de George Platt Lynes…

Magazine fut un moyen formidable de rencontrer les artistes que nous admirions. Nous étions une bande de jeunes gays qui confrontaient leur propre timidité en se jetant à l’eau pour séduire David Hockney ou Franck Ripploh. Nous cherchions à établir des passerelles internationales. Notre idée était de chercher ce qui était le plus excitant dans chaque pays (même si on avait plutôt tendance à aller vers le nord). Les contacts les plus riches étaient avec Londres, Amsterdam, Berlin et New York .
Les choses se faisaient alors par lettre. On contactait les artistes par écrit. La maquette était ce moment atroce pendant lequel il fallait coller des bouts de papier sur des planches à dessins quadrillées. On utilisait beaucoup la règle et l’équerre, c’est pour dire à quel point tout ceci est antidéluvien. La photogravure était un supplice, l’imprimerie était un enfer, le brochage un moment d’angoisse total et la diffusion, c’était le pire. À partir de 1984, chaque numéro de Magazine pesait un kilogramme.
Les gens s’écrivaient. Je tapais tous les textes avec une de ces petites machines à écrire comme on en voit dans les films. Quand le N°5 est sorti du brochage, mal façonné, mal imprimé, j’ai failli laisser tomber. On a fini par se reprendre avec le N°6/7, qui est peut-être le plus beau, le plus classique. Le suivant, le N°8/9, est sûrement le plus riche, le plus lourd aussi, et la couverture a ce vernis superbe. Le dernier numéro, le 10/11 est très beau aussi, mais le pelliculé mat que voulait Misti s’est avéré fragile.

J’ai écrit un livre sur l’époque de Magazine. « Kinsey 6, Journal des années 80 » (Denoël) a été publié en 2002 et je ne cherche pas ici à en faire une promo posthume, mais je ne peux m’empêcher de trouver ironique que la Galerie 12mail me propose cette expo (thank you) alors que ce livre date déjà de huit. Too much, too soon. As fucking always.

12 mars 2010