About Me Media sur Olivier Flandrois dans Character #10

Enfin ça arrive. Après des années de dictature anti-poils dans les médias et la mode ("ça fait pas vendre" soit disant), l’illustration et la photographie sont les soupapes de sécurité qui prouvent que ça a duré trop longtemps. Un renouvellement moderne est nécessaire pour faire oublier ces hommes rasés, retouchés, maquillés, dépourvus de tout naturel, comme si la société avait peur de l’homme viril.

Olivier Flandrois fait partie de cette nouvelle génération d’artistes français qui ont choisi de créer à partir de cette fascination pour la barbe, le poil, l’authentique. Appelez ça un fétiche, une obsession, on s’en fiche. À 31 ans, il a décidé de prendre quelques distances avec ses études à Sciences Po et un boulot dans la communication pour revenir à sa passion du début, les Art Déco, le dessin et, sûrement un jour, la peinture. Je suppose que son amour pour le poil est aussi dévorant que le mien. Il a passé des années à se demander s’il était normal, regardant le monde avec incrédulité, son esprit sans cesse à la recherche de ces hommes barbus que l’on voit au détour des documentaires historiques du mouvement LGBT. Son œil le dirigeait vers les grands portraitistes de la Renaissance ou les maîtres de la peinture flamande, le look décadent des années Napoléon III, la dominance de la moustache prolétaire des années 20, l’impact esthétique d’Hemingway dans les années 50, la fantastique explosion capillaire des années 70.
Tout ceci paraissait si loin.

Comme la pornographie, l’art est souvent le média qui anticipe et confirme un besoin, une demande. Le mouvement Bear a été l’annonciateur de cette envie de laisser-aller et depuis plus de dix ans, les bears se sont multipliés en une multitude de sous catégories. D’autres artistes comme Gengoroh Tagame n’ont aucun problème pour dessiner des hommes ronds de tous les côtés : des ventres, des visages de Hobbits, des barbes douces et dessinées au feutre, des hommes urbains avec des chaussettes de rugby à rayures, tout ceci dans une vision intime du sujet. Contrairement à Tumblr où ces hommes barbus sont souvent un peu trop fiers d’eux-mêmes, Olivier Flandrois les montre avec timidité, comme si ce thème était le reflet de sa prudence.

SonTumblr, The Daily Drawing Project, à l’ambition de produire un dessin par jour mais Olivier sait lui-même que cela demande une régularité risquée quand on tient à publier le meilleur de soi. Mais c’est aussi une discipline et Olivier est toujours à découvrir le plaisir de faire ce qu’il aime, sentir le feutre glisser sur le papier, trouver la forme technique adéquate pour définir le masculin d’aujourd’hui. En tant qu’artiste, il évolue et se transforme aussi vite que les hommes de ses dessins. Par exemple, il utilisera couleur depuis peu et se réserve jusqu’à présent au bleu et au rouge. Le bleu, sûrement parce que c’est la couleur traditionnelle des hommes. Le rouge parce qu’il permet de déployer toutes les nuances dorées des barbes au soleil, les rouquins, les poils qui changent de couleur en rejoignant le bas du cou et le haut des pectoraux.

J’aime le travail d’Olivier Flandrois car c’est un moment de libération. Selon lui, les hommes rasés ont subi un diktat visuel, sexuel, économique aussi. "On a été opprimés comme les femmes qui portaient le corset" dit-il sur l’obligation sociale de se raser, que ce soit au travail, dans la famille ou même dans la politique. Il remarque que pas un seul homme de pouvoir ose la barbe en France. Il s’amuse de son entourage qui lui dit qu’il a "viré islamiste" à cause de sa propre barbe. "Tu t’es converti ?" C’est pourtant rassurant de voir que les gays remettent en question leur propre image, non seulement au sein de la société mais aussi à l’intérieur de leur propre communauté. L’homme barbu est un homme libre, surtout quand il ne se limite pas au grooming bien net, bien poli, que l’on voit dominer dans les bars gays (surtout pas un poil qui dépasse !). Les hommes d’Olivier Flandrois sont clairement au-delà. Ils ont les joues rouges des hommes heureux et des acteurs de Kabuki et aussi, pourquoi pas, des 7 nains de Blanche Neige. Leurs poils sont envahissants sur le dos, partout. C’est toute une vague d’ADN en surplus. Bientôt, ils laisseront pousser leurs barbes sans contrôle, comme le font déjà les hypsters américains, des énormes boules de poils, rondes ou pointues, profondes, douces au toucher, remplies de parfums et de fleurs. C’est une des rares bonnes nouvelles de ce monde en crise dans lequel nous vivons. La liberté par le poil.

C’était pourtant pas si compliqué à faire, pourquoi avons-nous attendu tout ce temps ?

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Olivier Flandrois

Olivier Flandrois

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