About Me Press kit Portrait du mardi sur RFI

Super gentil portrait de Willy Richert

Ancien punk, Didier Lestrade est tombé dans la marmite dance dès l’arrivée du disco en 77. Fréquentant les clubs gay du monde entier, il sent qu’il est en train de se passer autre chose qu’un simple phénomène de mode. On a souvent confiné cette musique aux clubs homosexuels, ce que ne contredit pas Didier Lestrade, du moins au début : « Alors que la plupart des hétéros écoutaient New Order, les Smiths ou The Cure, moi, je voyais débarquer en boîte la high energy et l’eurobeat, tous ces micro-courants qui allaient donner naissance à la house music. Il est indéniable que la communauté gay a toujours apprécié la musique dite dance. La house music a vu le jour dans les clubs gay de Chicago et le garage, (house plutôt vocale, ndlr) dans ceux de New York. De même, il faut se rappeler que Laurent Garnier a pu s’exprimer en France pour la première fois à la Luna, un club là aussi réservé aux garçons. Il était impossible pour nous de manquer un seul de ses sets, c’est à partir de là que le futur meilleur DJ du monde est devenu une divinité dans notre milieu. Aujourd’hui, les choses ont bien changé. La French Touch est un mouvement 100 % hétéro. Pour prendre une image de jardinage, je dirais que nous avons préparé le terrain et que les hétéros ont planté la graine. »

C’est dans les colonnes du quotidien Libération que Lestrade a chaque semaine, jusqu’à il y a quelques mois, analysé, distillé et expliqué cette nouvelle musique : « Dès 87/88, les responsables du journal m’ont donné carte blanche pour que je puisse rendre compte de ce qui se passait dans le monde. C’est très rare qu’un grand journal vous permette de suivre la genèse d’un mouvement culturel. Je voyais mois après mois l’histoire de la dance music s’écrire sous mes yeux, je chroniquais les maxis qui arrivaient chaque semaine et qui poussaient toujours plus loin l’innovation. » Combien sont-ils, les futurs DJ stars et musiciens à avoir découvert cette musique grâce à ces chroniques ?

L’histoire de la house music aurait pu être le mouvement musical le plus excitant depuis l’arrivée du rock si une terrible maladie avec un petit nom, pour reprendre le "Sign of the times" de Prince, n’avait provoqué une hécatombe dans le milieu gay avant de s’attaquer à tout le monde. Lestrade qui a toujours eu une certaine conscience politique, de gauche, décide de fonder Act Up en France. Association vigoureuse et engagée, privilégiant les opérations coup de poing, c’est à elle qu’on doit la mise sous capote de l’obélisque de la place de la Concorde à Paris.

Politiquement incorrect

Vingt ans d’activisme au sein de la communauté n’auront en rien alterné sa capacité d’indignation. Aujourd’hui, c’est contre le relâchement dans la communauté gay qu’il lutte, quitte à se fâcher avec pas mal de monde : « Avec l’épidémie qui se développe de manière effroyable en Afrique, ce phénomène du relâchement est mon souci numéro 1. Voilà 20 ans que je milite et me retrouver maintenant encore dans la situation du vieux radoteur qui rappelle que le sida tue, ça me déprime. Avec l’arrivée de la tri-thérapie, les jeunes se disent que devenir séropositif, ce n’est pas grave. C’est incroyable. Je suis séropo depuis 15 ans et je viens encore de changer de traitement et ça a des effets secondaires catastrophiques. Alors quand je lis des auteurs comme Guillaume Dustan qui prônent des théories loufoques comme celles de pouvoir se contaminer puisqu’on est maître de son corps, ça me rend dingue. Je me suis fâché avec pas mal d’amis à cause de ça, mais je ne lâcherai pas. »

Le franc parler et le "franc écrire" de Lestrade lui auront causé pas mal d’ennuis et de fâcheries. Ainsi Shazz, l’un de ses musiciens préférés qu’il accusait dans un article assez sec, de ne pas se fatiguer comparé à son talent, ne lui parlera plus pendant des années. De même en plein consensus sur les Daft Punk, il écrit un article incendiaire sur le duo français en les accusant d’être des leaders sans en assumer les conséquences et surtout les devoirs et de les trouver sinistres et égoïstes : « Les gens dans l’électronique ne s’engagent pas, excepté Moby, qui est végétarien, qui le dit et qui lutte aussi contre la déforestation au Brésil. Pourtant les artistes noirs américains à l’origine de la house music produisaient des disques éminemment politiques. Dans ces maxis, ils luttaient contre la discrimination raciale aux Etats-Unis et le racisme sous toutes ses formes. Mais le non-engagement des artistes électroniques va de pair avec l’anonymat que prône cette musique, du moins au début. Personnellement, je ne peux pas admirer un artiste, aussi bon soit-il, s’il n’a pas un début d’engagement. On ne peut pas vendre des millions d’albums, dépenser des fortunes pour l’enregistrement d’un disque et vivre dans sa bulle. Je suis désolé mais pour moi, les Daft Punk sont des leaders et ils doivent s’engager sous quelque forme que ce soit. »

Pour comprendre ce qui fait chavirer musicalement Didier Lestrade, vous avez deux possibilités, soit vous procurer les compilations "Paradise Garage" qu’il a concocté avec Patrick Thévenin ou vous rendre une fois par mois à la soirée KABP qu’il organise avec quelques dinosaures de la musique électronique à la Boule Noire à Paris (120 BD Rochechouart, Paris 18ème ), une soirée où officie Patrick Vidal et dans laquelle vous pouvez danser sur les morceaux mythiques de la house music. Lestrade est un de ces rares personnages de la nuit pour qui danser n’exclut pas de penser et militer. Et puis, à force de dire ce que vous croyez, même si vous êtes le seul à le penser et que vous avez raison, les gens finissent par vous rallier. La preuve, Shazz, l’ami fâché, s’est réconcilié avec le fondateur d’Act Up et devrait enregistrer avec lui son premier maxi.

Willy Richert

*Act Up : une histoire (Denoël)

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