Archives Magazine The Magazine collection Introduction à Magazine N°6/7

Pour moi, chaque numéro de Magazine peut être résumé à un mot. Le N°3/4 s’appelle "Pain" à cause des cuirs SM qui nous ont fait chier, Misti et moi, pendant tout le processus. Le N°5 est "Deception" car j’ai failli abandonner (more on that later). Le N°6/7 s’appelle "Classic".

En effet, à partir de ce numéro, tout ce que va faire Magazine jusqu’à sa fin est parfait. Les trois derniers numéros sont les plus riches, les plus aboutis. Mais celui-ci est le plus classique de tous. Je crois qu’il représente vraiment l’esprit Magazine de Misti et Didier. D’abord la couverture est merveilleuse. Misti parvient à associer des couleurs parfaites, le noir, le gris tramé du titre et le rouge du bandeau. Pour sortir d’une impression rouge et noir trop prévisible, il a mis une point de brun dans le noir pour le rendre plus chaud. Quand il me propose ces couleurs, je n’ai pas besoin d’argumenter, je suis émerveillé, je dis tout de suite "C’est ça qu’il faut faire, pas besoin d’aller chercher plus loin".

Ensuite, c’est avec ce numéro que nous commençons vraiment à jouer avec les symboles de Magazine. Les logos sont multipliés sur la deuxième et troisième de couverture comme s’il s’agissait de papier peint ou de papier cadeau pour marque de mode, ainsi que sur la page de l’édito où Misti et mois posons, photographiés par Unglee.

Ensuite, les interviews commencent à être vraiment prestigieuses. Première interview de Bastille, l’artiste érotique le plus brillant après Tom of Finland et Rex. Paul Bowles, Raymond Voinquel, de grands personnages. Misti apporte quelques améliorations dans la maquette avec de plus belles vignettes pour les citations et un lay-out original pour les petits portraits photo des interviews. Les pages intercalaires entre chaque patrie de la revue sont signées par Alain Tchilinguirian, un ami dessinateur de Patrick Sarfati, qui dessine ici des jeunes pompiers au crayon à papier. J’adorais ces 3 dessins. Les dessins érotiques de la première partie sont tous beaux, du Tom of Finland, du Bastille. Pour la première fois, nous mettons un petit Index à la fin des interviews pour rendre plus évidente l’accumulation de name dropping.

La deuxième partie avec les nouvelles érotiques est plus jolie aussi. Enfin, nous développons notre propre design pour les petites pubs que nous décrochons. Et on s’éloigne du côté hardcore SM imposé par les Allemands cuirs du N°3/4. Ce numéro est en définitive plus doux, plus nous. Misti et moi ne sommes pas des folles hardcore du sexe et Magazine doit reflêter ce côté simple, "Less Is More", stable. Et nous montrons notre indépendance créative avec la première commande de dessins de Tom of Finland pour Maga, 3500F de l’époque.

La troisième partie est juste sans faute. Tout le numéro est bien imprimé, bien relié, et ça se voit pour les photos. La série de six pages de Sarfati (Patrick avait toujours une ou deux pages de plus que n’importe quel autre photographe, c’était son privilège) est complètement classique, en studio. Viennent les photos de Walter Pfeiffer qui ont tellement épaté tout le monde, celle avec le serpent, l’autre avec le couteau. Ma double page préférée du numéro est celle de Rüdiger Trautsch avec ce portrait de garçon de trois quart complètement post Renaissance, collée à une photo très Tom Of Finland d’un mec cuir dans la rue avec une canette de bière sur les pavés dans le coin inférieur gauche. Quelle composiion, quelle association d’image ! Les portraits de Pierre et Gilles sont magnifiques, les kikis du Tea Dance du Palace immortalisés dans une sorte de brûme humide. Suivent les portraits de Michel Amet qui me rendent gaga depuis maintenant 25 ans et ça se termine avec cette série post Mapplethorpe d’Hajo Torsten, encore un Berlinois. Donc un feeling très allemand calme luxieux pour ce numéro, beaucoup de retenue et de chic.

Le dos de la cover avec la pub du Privilège est woaou aussi. Donc, 4 ans après le début de Maga, Misti et mois parvenons à notre premier numéro sans faute, sans erreur d’imprimerie ou de maquette, sans catastrophe technique à la photogravure ou au brochage, sans pression malsaine de la part de certains collaborateurs, avec un choix de photos qui montre que les artistes que nous sollicitons sont de plus en plus bons dans leur travail. 1984 est une très belle année gay. Il se passe plein de choses. Les gays sont heureux, le sida n’est pas encore vraiment arrivé.