Musique Les gays à l’avant garde du clubbing ?

Pas si sûr. Le festival Loud & Proud de juillet dernier a eu un message clair en s’adressant surtout à la jeune génération LGBT qui crée de la subversion en renouvelant les vieilles ficelles du cross dressing et du queer. Mais on peut sincèrement se demander si cette nouvelle vague de fun pailleté est le signe d’une marginalisation du clubbing quand la techno fait un retour majeur en France. Séparatisme ou retour en arrière ?

Historiquement, les gays ont toujours montré leur curiosité quand les grands courants musicaux sont apparus comme la House et la techno. Dans les médias, en France en tout cas, les premiers à s’engager vocalement étaient en majorité des homosexuels, que ce soit à FG ou à Libération. Il y avait une envie d’encourager des styles musicaux qui n’étaient pas exclusivement produits par des gays, à un moment où la cohabitation gay / hétéro n’était pas du tout évidente dans les premières raves. Les gays avaient envie de montrer leur présence dans ces raves et ces clubs à travers leur look, leur manière de danser, et ils se considéraient comme des points de jonction entre les différents groupes de la Nation House.

Depuis quelques années, les clubs gays dont on entend parler ont presque tous adopté un choix vestimentaire qui est presque plus important que la musique. Que ce soit chez les bears de la Beardrop ou les fashion / drag pour les plus jeunes, l’appartenance identitaire est plus importante que l’engagement musical. Cela ressemble beaucoup à ce qui est dit dans le merveilleux documentaire sur Leigh Bowery de la période Taboo à Londres. Ce qui était alors important dans le fait de sortir, ce n’était pas tellement ce qui se passait dans le club, mais tout ce qui se produisait avant : la soirée de préparation avec la bande, le cross-dressing, le maquillage, le fait d’être ensemble et de s’amuser, puis l’arrivée toujours dramatique à l’entrée du club.

"Less is more", c’est fini

Ma génération, en revanche, a toujours vu le clubbing comme un voyage dans la nuit. On s’habillait le plus banalement possible, un t-shirt et un jean, parce qu’on savait que tout ce qui était en trop finirait par être un handicap quand le vrai but de la nuit, c’était de danser au lieu de paraître. On était soi-même quand on était en sueur et qu’on était un bon danseur. D’ailleurs, passer 8 heures sur le dance floor à Trade avec une perruque, c’était le meilleur moyen de tomber dans les pommes et de finir aux urgences. On pensait, avec raison, que la musique du DJ était l’essentiel, que le design du club était la vraie vedette, que les lumières avaient une histoire à raconter. Bref, il n’y avait pas tant d’ego.

Quand "less is more" est fini chez les gays, il réapparait chez les hétéros. La nouvelle scène techno arrive enfin à maturité à Paris et en province. Elle retourne à ses fondamentaux : la musique d’abord, le look ensuite. On préfère des lumières minimales ou pas de lumières du tout. Et la question que je me pose, c’est pourquoi les gays ne rejoignent pas un tel mouvement, que l’on a attendu si longtemps ? Tous les DJ’s admettent que les années 2000 ont été difficiles, que tout était régi par l’argent. Il y a une vraie soif pour une musique plus pointue, plus moderne. Alors pourquoi les gays font la moue devant cette techno qu’ils adorent pourtant quand ils vont au Berghain ?

Ca m’épate. Car je sais qu’il y a des gays curieux qui vont à Concrete mais ils restent minoritaires. En fait, au lieu d’aller en masse dans ces clubs (hétéros) où la musique est à la pointe, ils restent entre eux. Et cette fois, ils ne peuvent plus dire que c’est à cause de l’homophobie parce que ces clubs ne le sont pas. Et même, s’ils l’étaient, les gays pourraient se défendre non ? Si vous croyez qu’on avait peur d’aller à Mozinor en 1991 avec des t-shirts Act Up, des cornes de brume, des sifflets et qu’on se roulait par terre sur les tessons de bouteille, vous vous trompez. On s’amusait beaucoup. Donc mon avis, c’est que les gays boudent la modernité en préférant faire les queers dans leurs propres clubs. Ce qui n’est d’ailleurs pas le vrai sens du queer.

Faire les folles, entre soi

En 2015, on en est à la troisième génération des perruques dans les clubs - de l’ère moderne je veux dire. Dans les années 70, que ce soit dans les squats ou les clubs ringards et rigolos comme le Rocambole, c’était un passage obligé. Dans les années 90, avec Wigstock et les drag queens de Priscilla, c’était à nouveau le retour du maquillage et du look hystérique. Depuis 5 ans, c’est le questionnement trans - queer - Garçon Sauvage qui mène la danse. À chaque fois, la musique est le fond théâtral de l’amusement alors que pour nous, la musique était tout. Elle était méta. On détestait quand la musique s’arrêtait pour un show sur scène, les trois quart du temps, on voyait ca comme une occasion d’aller aux toilettes ou au bar. Ce qui veut tout dire.

Il est tout à fait naturel que les jeunes passent par leur phase drag /camp / on fout le bordel. On sait que c’est un processus de libération, comme le rappelle Sébastien Lifshitz dans Les Invisibles. Chaque génération l’a fait bien que je répète, la mienne beaucoup moins, en réaction aux Seventies. Car c’était vraiment l’époque des folles et des trans et je vous garantis que la Factory de Warhol sans les trans, c’était juste une boîte de chocolat vide avec du papier aluminium partout. À la rigueur, si les jeunes ne le faisaient pas aujourd’hui, je vous écrirais surement un article à la place de celui-ci pour dire qu’il y a une cassure générationnelle et que les jeunes refusent le rite de passage de leurs aînés. Je pense aussi qu’il faut voir cette envie de faire la folle comme un message plus subversif, un peu comme la perruque de Guillaume Dustan. Mais alors, pourquoi ne pas envahir les clubs hétéros comme faisait Dustan ? C’est ça le vrai esprit queer, c’est déborder des limites LGBT traditionnelles ! Quand on voit les articles parler de la frontière de plus en plus fine entre gays et hétéros, comme pour le dernier Magic Mike avec Channing Tatum, on voit bien que cette confusion des identités est en parallèle avec la montée en puissance des revendications trans.

Vers une nouvelle idée du clubbing gay

À une époque où le combat LGBT obtient de grandes victoires comme la décision de la Cour Suprême en faveur du mariage gay aux États-Unis, les gays et les lesbiennes sont plus que jamais encouragées par le reste de la société. Oui, l’homophobie subsiste, très forte dans certains quartiers où certaines professions. Mais cette envie de repli est très étonnante à un moment où on peut dire, avec raison, It Gets Better.

On peut imaginer que cette vague de clubs de travelos new look soit un exutoire finalement séparatiste. Cette jeune génération est très éduquée, elle est au courant de tout grâce à Internet, elle a tous les outils pour marquer sa génération et son époque. Pourtant elle préfère s’amuser dans son coin, en marge de la société. Et le clubbing peut changer. Le vieux slogan d’Act Up "Sida Is Disco" est mort. Mais aujourd’hui, ça pourrait être "Crisis is Disco" et personne n’y a vraiment pensé. N’oublions pas que le fait de sortir est, en soi, un signe distinctif social. Il faut avoir l’argent de sortir, de payer les consos, de rentrer chez soi. La communauté LGBT devrait penser davantage à cet angle de la nuit nocturne car dans les périodes que nous connaissons, marquées par une crise qui dure déjà depuis huit ans, c’est toute une génération de clubbers qui est affectée par le chômage et la précarité.

Cette dialectique du clubbing peut renaître avec plus de générosité. Dans un club, tout ce que l’on peut offrir au public est un plus produit qui alimente la réflexion tout en dansant. Une pétition à signer en direction de la municipalité pour répondre à tel ou tel problème LGBT ? Un stand de dépistage rapide de AIDES ? Un fanzine gay ? Une projection de classique lesbien ? La vie nocturne ne se limite surement pas au selfie. Car finalement la drag life n’a plus rien de fondamentalement nouveau. Dans l’histoire gay, des clubs comme le Pyramid à New York ou le Royal Vauxhaul Tavern de Londres sont allés beaucoup plus loin dans l’imagination folle. Ils ont produit des stars comme RuPaul et Lily Savage qui ont dirigé leurs propres shows télé. De même, quand on regarde aujourd’hui le film de Jennie Livingstone, Paris is Burning, on voit à quel point les questions sociales étaient au centre des procurations artistiques du Voguing. C’est ce système d’entraide que l’on retrouve aussi dans les carnavals Brésiliens.

Il faut remettre de l’engagement dans le clubbing. Quand on crée un club qui a un effet sur les gens, le souvenir dure toute la vie. On y rencontre des amis, des amours, mais il y a aussi le cadre qui motive la générosité et l’altruisme. Le clubbing est beau quand il se dirige vers l’extérieur. Et c’est pourquoi il faut encourager cette mixité dans les clubs, entre sexualités, mais aussi origines ethniques. La fin du racisme dans la nuit, comme le délit au facès, pourrait être la grande révolution queer de demain. On en a énormément besoin en France aujourd’hui.

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