Musique New York pour Kostar

New York n’est pas seulement ma ville préférée : c’est surtout la seule ville où je me sens bien. Depuis que je vis à la campagne, toutes les autres grandes villes ont dégringolé dans mon estime. Paris me met en colère, Londres est trop dure, Berlin trop riche, Amsterdam trop triste, Madrid trop à la mode, Los Angeles sent le moisi luxueux, San Francisco m’est interdit car un ancien boyfriend y vit – et je dois être la dernière personne au monde à ne pas connaître Rome et Rio.

Dans les autres villes, il y a toujours un moment pas très agréable, quand je me mets à regarder d’une étrange manière un arbre, un jardin, une herbe qui pousse entre le ciment. La nature me manque. Je retiens ma respiration, comme si j’étais en apnée sentimentale, attendant de revenir chez moi. À New York, je ne regrette jamais ma maison, ma tranquillité, le silence. Et je trouve ironique que la seule ville qui me fasse oublier cette nature soit précisément la plus urbaine, la plus cosmopolite. Je peux marcher y pendant des jours sans ressentir la fatigue alors qu’un kilomètre sur Oxford Street, à Londres, a le don de m’achever pour le reste de la journée. À Manhattan, les pavés de maisons sont conçus sur un système métrique qui a l’air d’être parfaitement synchro avec mon bio rythme.

New York a été incroyablement généreuse avec moi. C’est une ville qui m’a formé et qui m’a testé. J’aime absolument tout : le bruit, le froid glacial de l’hiver, la chaleur étouffante de l’été, et tout ce qui se passe entre ces extrêmes. Je connais la ville depuis 22 ans, j’y ai vécu ma plus belle histoire d’amour et j’ai dansé dans les meilleurs clubs. Sa musique a nourri mon travail et je n’ai jamais raté une occasion de la célébrer pour participer, à mon petit niveau, à sa réputation. Je ne suis pourtant pas sensible à la philosophie « I Love New York », parce que je sais que c’est un mensonge, un marketing mental qui cache beaucoup de caca derrière un joli logo. Mais je dois admettre que j’aime le New York underground au même niveau que j’aime son aspect le plus banal. Les boutiques ouvertes tout le temps, par exemple. Amusant : ceux qui crient en France contre le travail le dimanche sont les premiers à faire leur shopping à n’importe quelle heure. Ce qui est bon pour New York serait donc inadmissible pour Paris… Quelle hypocrisie.

Quand l’homme que j’aimais est décédé en 1992, avec tous les clubs qui l’entouraient, j’ai vraiment cru que la ville me fermait ses portes. Pendant plusieurs années, New York s’est vengée, la ville me faisait mal, elle me rappelait trop de moments simples, beaux, détruits pour toujours. Je pouvais pleurnicher devant une façade d’immeuble, attendant que l’ancien amour sorte en souriant. L’East Village, dans son ensemble, était devenu intolérable, trop dynamique, trop indépendant. Je regrettais son authenticité de 1987. Les golden years.

J’ai alors cru perdre New York pendant une grande partie des années 90. J’y retournais, mais je redoutais ces rues que je connaissais trop bien. Et puis, magiquement, la ville m’est réapparue. Dix années de convalescence. Et toujours cette impression de pèlerinage, pour vérifier mes endroits préférés. Supreme sur Lafayette. Housing Works sur Crosby Street. Strand sur Broadway. La librairie Oscar Wilde sur Christopher Street et Dance Tracks sur East 4th Street (fermés, mais ça ne m’empêche pas de regarder l’immeuble !. Le Blue Store sur 8th Avenue. Ne JAMAIS aller dans un restau gay de Chelsea. Les délis qui vendent des repas cuisinés que l’on mange sur le coin de son lit d’hôtel, peinard. La télé, la radio, en quantités astronomiques. Le rassemblement de dizaines de milliers de Blacks et Latinos sur les quais après la Gay Pride. Canal Street. Harlem à travers les mots du journaliste Pierre-Jean Chiarelli. Brooklyn à travers ceux de Pierre-Jean Lamy et Fabien Lamotte. Les contes du clubbing à travers les souvenirs de mon ami Jean-Marc Arnaudé. Manhattan au début des années 80 dans les souvenirs de Maxime Journiac. Mon amour de cette ville reste très intime, je suis surtout fasciné par la beauté des hommes dans la rue.

Mais cet amour est aussi le résultat de centaines de discussions avec ces amis précurseurs, qui y sont allés avant moi, ou qui y vivent encore, et qui me racontent leurs impressions. Et mon travail, c’est de répercuter ces rumeurs et ces mythes, en tant que journaliste, pour matérialiser encore plus l’importance de cette ville dans tout ce qui me séduit. J’aime être au centre de cette chaîne de mots et de phrases prononcés par mes amis, et je vis ce qu’ils ont vécu à travers ces exclamations, sans jalousie, avec la seule fierté d’être à l’écoute de ce qu’ils me disent.