Politique / Sida Chez Sida Info Service

Très gentille interview par Alain Miguet, le rédac chef de Sida Info Service, sur le livre co-écrit avec Gilles Pialoux, "Sida 2.0". Merci.

Dans la mémoire des Français, 1981, c’est d’abord l’élection de François Mitterrand. Plus vaguement et selon ses centres d’intérêt surgiront du fond de son cerveau d’autres événements : l’attentat contre le pape Jean-Paul II, la tentative de coup d’Etat militaire en Espagne ou encore la mort de Bob Marley. Le début de l’épidémie de sida est un souvenir plus vague qu’il est moins aisé de situer. Et pourtant le sida a bien eu 30 ans en 2011. Dans un livre à quatre mains, Sida 2.0, le professeur Gilles Pialoux et l’ex-activiste Didier Lestrade reviennent sur ces trente années de souffrance, de lutte et d’espoir. Didier Lestrade répond aux questions de Sida Info Service.

***
SIS : Dans Sida 2.0, vous dites que « le sida en France est de plus en plus une question de précaires ». Quelle est cette précarité dont vous parlez ?

Didier Lestrade (DL) : Oui bien sûr, nous sommes nombreux à penser que les principaux problèmes de l’épidémie dans notre pays concernent les personnes précaires, les personnes seules (qui ne sont pas toutes précaires, c’est vrai), les personnes séropositives qui deviennent des séniors et les jeunes qui commencent dans la vie et qui sont forcément moins riches que les autres. Cela se voit dans les salles d’attente des hôpitaux publics, on y voit surtout des personnes issues de l’immigration alors que les anciens séropos sont de plus en plus suivis en ville, chez leur médecin, ce qui est d’ailleurs logique puisque le suivi médical nécessite moins la présence à l’hôpital. Et ce qui est une bonne chose en termes de coût général de cette maladie. Mais il y a un aspect de cette précarité dont on parle peu entre nous, c’est la précarité affective de tous, gays ou hétérosexuels, dans les discussions qui ont trait à la sexualité, la prévention, au respect des autres. Ce qui est pourtant le fondement de la lutte contre le sida.

SIS : Comment la lutte historique contre le sida peut-elle apporter son expérience à d’autres malades pour s’organiser ? Je pense à celles et ceux qui souffrent de maladies chroniques telles les hépatites.

DL : L’exemple du sida est déjà en train d’influencer la lutte contre de très grandes maladies comme les hépatites, en effet, mais aussi les autres grandes maladies qui affectent les pays en voie de développement. Le prolongement de l’expertise médicale dans le sida a été très important car le mouvement associatif a prouvé que la place de la personne séropositive est au centre de la recherche et de l’accès aux soins. Les malades proposent, demandent, et obtiennent - quand on s’organise bien. Le groupe TRT-5, qui rassemble les principales associations de lutte contre le sida, a déjà influencé des rassemblements équivalents pour les hépatites. Et puis cet exemple est le même que celui que l’on voit dans les pays européens comme l’European AIDS Treatment Group (EATG) qui fait un travail formidable pour uniformiser l’accès aux soins sur le continent. Ce travail s’élargira sûrement aux pays du Maghreb qui ont besoin de notre expérience pour s’organiser et lutter mieux contre l’épidémie. Cela a déjà aussi un impact dans les pays africains où tous font pression pour que toutes les personnes en Afrique qui ont besoin de traitement puissent avoir accès aux multithérapies. C’est une des grandes victoires de l’activisme thérapeutique en France, et les gays ont de quoi être fiers car ils ont mené cette initiative du début à la fin.

SIS : Vous valorisez beaucoup les réseaux sociaux pour défendre par exemple le système de santé. Quels conseils pratiques pourriez-vous donner ?

DL : Dans les années 1990, toute la communication des associations de lutte contre le sida passait par les brochures, revues et publications élaborées par ces associations. Aujourd’hui, il faut utiliser l’énorme outil que représentent Facebook, Twitter et Tumblr. Ce sont les nouveaux médias d’aujourd’hui et il faut repenser la communication sida dans ce sens, d’abord pour toucher davantage les jeunes générations, mais aussi pour nous forcer à repenser nos idées et les présenter d’une manière plus "intéressante". Je ne fais pas partie de ceux qui sont inquiets par l’arrivée du téléphone portable, des dossiers médicaux dans le Cloud, de la transmission rapide des tests sanguins et de la généralisation des tests rapides. Aujourd’hui, tout est dirigé vers la rapidité de tout. Pourquoi attendre une semaine pour obtenir le rendu des tests de dépistage au VIH ? Pourquoi sommes-nous toujours dans une "période d’évaluation" ? Pourquoi les médecins refusent-ils, comme c’est le cas en France, de proposer ces tests de dépistage gratuits dans le cadre de leurs consultations ? En Espagne, ces tests sont déjà proposés par les pharmaciens ! En Afrique du Sud, c’est déjà plus avancé que la France. Le suivi médical via Internet est fondamental de nos jours, je suis toujours étonné par les médecins qui sont injoignables via mail par leurs patients qui leur demandent ceci ou cela au lieu de téléphoner ou de prendre RDV. On perd de l’argent et du temps, alors que ce temps et cet argent pourraient être consacrés à des demandes plus urgentes. Enfin, la prévention sera via Internet ou ne sera pas. Et là, on est aussi en retard.

SIS : Depuis plus de 20 ans, grâce au téléphone et à son Portail Internet, Sida Info Service explique aux appelants comment rester séronégatifs. Aujourd’hui, le centre de santé sexuelle Le 190 complète cette approche en informant les partenaires séronégatifs d’hommes gays contaminés, entre autres. Que pensez-vous de ces différentes approches ?

DL : Je suis bien sûr à 100 % pour ce type de conseil. C’est fondamental. Trouver de l’écoute, par téléphone ou de visu, dans des structures qui comprennent à l’avance les demandes qui vont être formulées, c’est essentiel. Maintenant, l’exemple du 190 ne doit pas rester là. Il faut multiplier ces centres, surtout en banlieue car c’est honteux d’obliger les personnes séropositives, vivant parfois loin de Paris, à consulter dans la capitale. Les soins, la prévention doivent franchir le périf ! Un centre communautaire comme le 190 est tout à fait applicable dans les villes de banlieue très touchées par le sida, les hépatites, les IST. Si nous ne le faisons pas, nous risquons de maintenir le sida dans un périmètre privilégié, celui de Paris intra-muros, alors que la demande est de plus en plus urgente en banlieue. Encore une fois, je fais un constat sévère envers la Mairie de Paris et le Conseil Régional Ile-de-France sur ces questions car ce sont des villes riches, déjà gérées par la gauche. Qu’attendons-nous ?

SIS : Vous êtes passé du militant engagé (Act Up Paris, TRT-5, etc.) à l’observateur critique des acteurs d’aujourd’hui de la lutte contre le sida. Faut-il en déduire qu’une fois devenu séropositif - pour les nouveaux contaminés comme pour les anciens - la vie en dehors de la planète sida est impossible ?

DL : Je crois, au contraire, que la grande majorité des personnes touchées par le VIH se désintéressent du sujet. Nous sommes moins nombreux à considérer que cette maladie est un sujet palpitant, ce que nous avons tenté de montrer dans ce livre écrit avec Gilles Pialoux, Sida 2.0. L’épidémie n’est pas terminée mais, en 30 ans, elle a changé beaucoup de choses dans le monde moderne. La vie en dehors du sida est possible, on le voit bien avec ces personnes séropositives qui ne parlent plus du sida à leur entourage. Je connais des amis gays qui n’ont JAMAIS rencontré de couples séro-différents de leur vie ! A Paris ! Or ces derniers sont nombreux ! Cela veut dire que le secret revient dans cette maladie, ce que je trouve triste. Pour ma part, même si on me reproche parfois de faire du sida "mon fond de commerce", je vois cette maladie comme une source de réflexion et de courage. Je suis séropo depuis 25 ans mais je ne cesse de découvrir des idées dans ma relation avec cette maladie. On ne devient pas séropo et puis basta. On ne cesse d’évoluer dans sa tête avec ce virus et il vaut mieux accompagner cette évolution, sans en faire une obsession non plus, plutôt que la mettre entre parenthèses, comme si ça n’existait pas. C’est du déni. Et c’est dangereux. Il faut continuer à lire sur le sida, parce que c’est "excitant" et j’insiste sur ce mot. Il y a beaucoup de choses à apprendre, encore aujourd’hui.

Propos recueillis par Alain Miguet pour Sida info Service

*Sida 2.0 – Regards croisés sur 30 ans d’une pandémie, par Didier Lestrade et Gilles Pialoux – Fleuve noir Docs - Janvier 2012

Documents joints