Politique / Sida Dans POZ #171 en français

Tiphaine Bressin, dans un mouvement de générosité absolument pas téléguidée (bref, c’est pas ma faute à moi) a traduit l’interview de POZ. C’est gentil non ? Du coup, j’en profite pour mettre quelques liens hyptertexte pour ceux qui ont envie de découvrir davantage qui sont les personnes ou les groupes cités dans l’article de Tim Murphy. Merci Tiphaine. Merci Hélène qui dit des trucs gentils.

The French Connection

by Tim Murphy

Didier Lestrade, fondateur d’Act Up-Paris. Toute sa carrière et sa vie dessinent les trajectoires de l’activisme gay /sida, à la manière de Larry Kramer aux Etats-Unis. C’est précisément lorsqu’il s’inquiétait de voir son héritage disparaître qu’il fût immortalisé, par le biais d’un auteur deux fois son cadet, dans un roman à clés.

« Mon père était agriculteur en Algérie, et j’ai grandi au milieu de la poussière, entouré de souris, de vaches et tout ce que vous pouvez imaginer qui va avec. », dit-il, lui, le père fondateur de l’activisme anti-sida, tandis qu’il conduit son pickup Dacia rouge à travers les routes sinueuses d’Alençon, en Normandie. Le véhicule arrive alors jusqu’à une une fermette en pierre, toute simple dans laquelle il s’est retiré en 2002 après plus de 20 années passées à Paris, entre journalisme gay et activisme anti-sida, dans un Paris sophistiqué et blasé. « La vérité, c’est que c’est exactement qui je suis », dit-il, avec un charmant accent français, « un mec de la campagne. J’adore me salir les mains dans la terre de mon jardin. »

Et à dire vrai, il ressemble à un mec de la campagne (ndt : en français dans le texte) avec son pull bleu marine à fermeture éclair et ses pantalons kaki. Il commente avec emphase la beauté brute des ouvriers de la route qu’il vient de dépasser sur le chemin du retour chez lui. À 53 ans, diagnostiqué séropositif depuis 1986, son nez proéminent, et ses lunettes cerclées de corne, sa barbe et le crâne dégarni le font ressembler à l’auteur et activiste séropositif américain Larry Kramer, à qui on le compare sans cesse. « En France, je suis censé être une sorte de Larry Kramer », dit-il fièrement. Leurs vies se ressemblent et se répondent, en écho, de bien des façons. Didier Lestrade a toujours façonné sa vie sur le modèle de la culture gay américaine, qu’il s’agisse de son amour de la house music soulful (dont il est considéré comme le plus brillant expert en France) ou son respect sans borne pour un activisme combattif, de rue, démonstratif et spectaculaire.

Larry Kramer a co-fondé ACT UP à New York en 1987, en créant un groupe qui a radicalement amélioré les politiques de prise en charge et de traitement du sida aux USA ; Didier Lestrade a fait la même chose en France en 1989. Les exigences furieuses et sans compromission de Larry Kramer, son caractère enfiévré, guidé par la morale, l’ont finalement isolé du groupe qu’il a cofondé. Un semblable déboire est arrivé à Didier Lestrade. Larry Kramer est un auteur publié et respecté, qui n’a de cesse de dénoncer ses cibles avec vigueur dans ses écrits publics encore aujourd’hui. Il en va de même pour Didier Lestrade.

La comparaison convient tout à fait à Larry Kramer : « J’ai passé suffisamment de temps avec Didier pour savoir que nos deux cœurs se trouvent au même endroit. », dit-il. « Nous réclamons l’égalité pour les personnes gays et que les homosexuels soient responsables et prennent en charge leurs vies, leurs corps et leur santé. » Si on retrace l’histoire de l’activisme américain contre le sida chez les hommes homosexuels en regardant l’exemple de Larry Kramer, du mode premier « alerte rouge » des débuts dans les années 80 puis 90 jusqu’à la présence actuelle plus apaisée, comme le résultat d’une rage qui a porté ses fruits, à une époque post-protéase, on peut tracer exactement le même parallèle avec Didier Lestrade côté français.

Et tout comme Larry Kramer, aujourd’hui âgé de 75 ans, a grandement délaissé les lumières new-yorkaises pour la campagne du Connecticut pour terminer un roman épique, Didier Lestrade s’est fait plus discret depuis bientôt dix ans, dans la maison en pierre qu’il loue à sa sœur. Oui, il continue à régulièrement donner ses points de vue sur le site minorites.org (en français) , sur des sujets qui lui sont chers, tels que les liens entre homophobie et islamophobie, de même que sur l’augmentation phénoménale du VIH chez les jeunes gays – une étude conduite en 2010 a montré que les taux de contamination en France ont chuté dans tous les groupes de la population sauf chez les gays où l’on rencontre des taux jusqu’à 200 fois plus élevés que chez leurs homologues hétérosexuels. Mais son image publique s’est fortement réduite comparé à il y a encore dix ans quand lui, l’avocat fervent de l’usage du préservatif, et ce depuis les tout débuts du sida, s’est retrouvé au cœur d’une longue et vénéneuse guerre avec l’écrivain gay adepte du bareback Guillaume Dustan, mort depuis d’une overdose médicamenteuse (probablement suicidaire) en 2005.

« Il fut un temps où Didier pouvait claquer des doigts et mobiliser 500 personnes pour manifester en face du ministère de la Santé », rapporte Hélène Hazera, une activiste transgenre séropositive depuis longtemps et journaliste qui fait aussi partie d’Act Up. « Maintenant, il habite la campagne, il a son petit copain [journaliste], jeune, qui vient le voir depuis Paris, il jardine. Il a trouvé une forme de sérénité. » Didier Lestrade, qui a écrit un livre entier, « Cheikh », inspiré de « Walden, qui parle de partir des villes, d’y laisser là les plaisirs citadins pour une forme d’autosuffisance rurale. « Ici, je ne remue pas mon cul en allant au supermarché faire mes courses », dit-il, « mais je n’ai jamais eu droit à un regard ni à un mot de travers. Les gens en Normandie sont tellement gentils. En huit ans, je n’ai eu que deux engueulades. Quand je me rends à Paris, j’ai droit à une histoire 10 minutes après être arrivé. »

Il était heureux de son style de vie bucolique jusqu’à mi-2008, quand un rédacteur à Têtu, le magazine qu’il a co-fondé en 1995, l’a appelé pour le prévenir que sa vie hautement mouvementée était de nouveau exposée aux lumières des médias : Tristan Garcia, un professeur de philosophie hétérosexuel, dans sa vingtaine, allait bientôt sortir un roman, « La meilleure part des hommes » (sorti il y a peu en anglais sous le titre « Hate : A Romance »), avec, de manière à peine voilée, et en partie seulement romancée, le récit de la bataille violente à propos du bareback qui eut lieu entre Didier Lestrade et Guillaume Dustan. L’une des libertés fictionnelles prises par l’auteur ? L’auteur, dont le roman a fait sensation et gagné le prestigieux Prix de Flore en 2008, a fait du personnage de Didier Lestrade l’un des premiers amants du personnage de Guillaume Dustan, et lui aurait transmis le VIH.

« Je me suis senti utilisé, » dit-il. « Je mène cette bataille pour la prévention, endossant le rôle de la râleuse morale gay, les gays me détestent pour mon courage, et c’est moi qu’on punit ? Je suis le dindon de la farce. »

Il y a pire, selon lui, une forme de double peine : « Et ensuite, Guillaume Dustan [avant qu’il ne meure] et Tristan Garcia remportent des prix littéraires et sont publiés aux Etats-Unis. Et pas moi ! C’était moi qui étais supposé paraître dans Interview d’Andy Warhol ! »

Et ça fait chier. Didier Lestrade n’a jamais vécu aux USA, mais ceux-ci l’obsèdent, en particulier la culture gay et son activisme. Lou Reed et la porn star Rick Wolfmier ont été ses héros. « Rick Wolfmier était le moteur à l’œuvre derrière l’idée que vous pouviez être gay et beau et, surtout, un homme charmant, décent et gentil, » continue-t-il. Poursuivre inlassablement cette idée – et la culture gay américaine – a été la quête de sa vie.

Adolescent, le cadet de quatre frères (dont trois sont gay) en Algérie puis dans le sud de la France durant la période pré-sida des seventies, Didier Lestrade prenait souvent le train de nuit vers Paris et achetait ou volait une poignée de magazines comme Playgirl et Interview. « C’est comme ça que j’ai appris l’anglais. », dit-il, en posant une salade sur la table dans sa cuisine aux murs de pierre. « Ces mecs américains, tous clones, masculins, avec des pecs poilus qui aimaient être torses nus en extérieur – j’adorais ça, mais on ne voyait pas ça à Paris », ajoute-t-il.

Alors, quand il a suivi son chanteur de frère, Jean-Pierre « Lala » Lestrade, à Paris au début des années 1980, (en fait c’est à la fin des années 70, fact fans) il décida de re-créer ce look en l’adaptant au style français – sous la forme d’un magazine sobrement appelé Magazine, qui est sorti une fois par an entre 1980 et 1986. Revue de très grande qualité, produit avec un budget minuscule en travaillant comme groom dans un hôtel tout en vivant comme un indigent dans un squat (là aussi, c’était dans les 70’s, pas dans les 80’s, fact fans), Magazine mélangeait les interviews des piliers de la vie gay des années 1980 – tels que David Hockney, Edmund White, Jimmy Somerville de Bronski Beat, avec des photos stupéfiantes de beauté, en noir et blanc, érotiques, d’hommes, prises par des photographes alors inconnus et aujourd’hui cultes tels Walter Pfeiffer ou encore Pierre & Gilles. « Magazine saisissait parfaitement l’air du temps » , dit Gert Jonkers, le fondateur du magazine Butt - un magazine gay indépendant contemporain, l’un des nombreux magazines et fanzines d’art à avoir été influencé par Magazine. « Les photographies étaient tellement belles, et les interviews attestaient du plaisir qu’on pouvait avoir à rencontrer les gens, et s’amuser avec eux. » Le club Le Palace était l’équivalent parisien du mythique Studio 54 des années 1980 à New-York, où le tout-Paris et tous les beautiful people, gay ou mode se retrouvaient – et Didier Lestrade et Magazine en étaient les enfants cachés.

Mais autre chose allait débarquer de l’underground au début des années 80 à Paris, peu de temps après avoir émergé à New York et Los Angeles en 1981 : une nouvelle et terrible maladie qui touchait principalement les homosexuels et les consommateurs de drogue. « Je me rappelle avoir rencontré Didier dans la rue », se souvient Hélène Hazera (avant d’être elle-même diagnostiquée séropositive en 1999), « et il me dit « Nous sommes tous en train de mourir ». J’étais sans voix. En tout, j’ai dû perdre une vingtaine d’amis, mais Didier en a perdu au moins 200. » Il a appris sa séropositivité en 1986. « À cette époque, vous saviez que vous aviez deux ans à vivre, au maximum », nous dit son frère, qui habite aujourd’hui en Suisse, artiste avec Billy Boy*, son partenaire depuis 28 ans. « Didier était extrêmement virulent et très en colère par la manière dont la maladie était perçue. »

Pas étonnant dès lors que cet américanophile fût déjà en train de regarder ce qui se passait ici, et comment une poignée d’activistes de l’autre côté de l’Atlantique – Larry Kramer, Mark Harrington et des bataillons entiers – avaient pris possession des rues sous le nom très habile, très « média-compatible » d’ACT UP et propulsaient la crise du sida, de la recherche scientifique et des traitements, sur les premières pages des journaux et des journaux télévisés et dans les allées du pouvoir à Washington. Ayant arrêté Magazine en 1987, il se reconvertit en critique de dance music et en devint le pionnier, pour le respectable journal de gauche Libération. Il prit alors un tournant radical et, avec l’aide d’autres personnes, lança Act Up-Paris en 1989. Il plongea lui-même dans des montagnes de données sur les traitements, devenant ainsi un relai d’information central entre les politiques, les chercheurs et les personnes séropositives. « Il était ce jeune gay superficiel qui, d’un seul coup, s’est transformée en la personne la mieux informée de tout Paris sur le sida, » nous confie Hélène Hazera. « C’est une profonde leçon sur la manière dont les gens deviennent des héros. » Didier Lestrade nous livre une version plus pragmatique, corrigeant : « Je m’efforçais de suivre l’exemple donné par ACT UP NY, ou TAG[Treatment Action Group], suivre l’exemple de l’activisme. »

Avec leur système de sécurité sociale généralisée, la France et l’Europe de l’Ouest dans son ensemble avaient pris de l’avance sur les Etats-Unis en matière de traitement et de soins. Mais, au tournant des années 90, Act Up-Paris – ainsi que le groupe plus axé sur la recherche scientifique qu’il a co-fondé, le TRT-5 – ont joué un rôle crucial pour que les sidéens aient le meilleur accès possible aux derniers traitements, en particulier après que les inhibiteurs de protéases aient révolutionné le traitement du VIH en 1996 et que le nombre de morts du sida ait commencé à diminuer. Act Up-Paris récolta une attention accrue des médias par le biais de ses opérations intelligentes et visuellement spectaculaires en face des lieux emblématiques de la capitale. En 1993, pour le plus grand plaisir de la ville, Act Up recouvrit l’Obélisque de la Place de la Concorde d’un gigantesque préservatif rose de plus de 22 mètres de long. Gregg Gonsalves, séropositif de longue date et activiste vétéran pour les traitements, se souvient : « Je me rappelle d’être allé rendre visite à Didier ainsi qu’à d’autres membres d’Act Up-Paris au milieu des années 1990, et je me souviens de cette affection, de cette affinité d’être avec des gens qui essayent de faire des choses semblables et de trouver un chemin, pour sortir de l’obscurité ».

À la fin des années 1990 en France, comme aux Etats-Unis, une « lassitude de la capote » s’était installée chez beaucoup de gays, et la nouvelle vogue, très douteuse, du « barebacking » - avoir des rapports sexuels sans préservatif – avait trouvé son parfait porte parole sous les traits de Guillaume Dustan, un écrivain qui, à l’aube de ses trente ans, a écrit des romans « transgressifs » tout en devenant un phénomène médiatique, participant à des shows télévisés coiffé d’une perruque et affirmant qu’il n’y avait rien de mal à avoir des rapports non-protégés, et que la liberté sexuelle l’emportait sur la responsabilité communautaire gay. « Didier était fou, fou, fou de colère », se souvient Hélène Hareza. « Imaginez, voir tant d’amis mourir et qu’un écrivain vienne ensuite dire à la télé que ce n’est pas si grave de contaminer les autres. » Didier Lestrade insistait continuellement sur Act Up pour condamner publiquement les propos de Guillaume Dustan, ce que le groupe fit – mais à voix feutrée, ou pas de manière personnelle. C’en était trop pour Didier Lestrade, qui finissait invariablement par s’emporter à ce propos, avec un regard froid et meurtrier, et cela a dégénéré en duels toxiques avec Dustan sur les plateaux télévisés, (en fait c’était avec Erik Remes, fact fans) pour le plus grand bonheur des médias. Didier Lestrade réussit à convaincre plusieurs membres d’Act Up de se séparer de l’association pour commencer un nouveau groupe, plus radical de prévention contre le HIV pour les homosexuels mais, selon Hélène Hazera, même ces derniers finirent par rallier le point de vue de Dustan dans ce débat. « C’était comme une trahison pour lui, » ajoute son frère Lala, « Act Up était comme son enfant. ».

Passé l’an 2000, de nouveaux membres, plus jeunes vinrent rejoindre Act Up-Paris. L’objet même de l’association, tout comme l’épidémie elle-même, se répandait au delà du groupe des homosexuels pour toucher d’autres groupes à risques, comme la nouvelle vague, en France, de migrants africains ou arabes ou encore les transgenres, en plus de la crise mondiale du sida. « En tant que gay, » dit-il, « nous devons cesser de nous concentrer sur la question homosexuelle et devons essayer d’aider d’autres minorités, parce qu’à présent, nous sommes les riches, les privilégiés. »

Il n’est cependant pas resté dans les parages pour cette raison : en 2002, il s’est marginalisé davantage en quittant Paris, où l’organisation avait son siège historique, de vastes locaux, quoique un peu poussiéreux, juste à l’est du centre ville. Il a officiellement rompu les liens avec le groupe en 2004, quand il les a publiquement dénoncés pour avoir saccagé le stand du groupe pharmaceutique Gilead à la conférence internationale contre le sida de Bangkok, ce qu’ils firent pour protester contre les essais cliniques du Viread dans le traitement préventif des populations à risque à travers le monde. « [Les membres d’Act Up-Paris] disaient que les Thaïlandais mourraient s’ils prenaient le Viread au cours de l’essai, » argumente Lestrade, « et ça m’a rendu dingue parce que nous savions que c’était un mensonge. » (En fait, Act Up-Paris a protesté contre cet essai – qui se déroulait parmi les travailleurs du sexe au Cambodge – parce que les organisateurs de l’essai ne fournissaient pas de traitement à vie aux participantes de l’essai si ces dernières devenaient séropositives. Les essais ont continué ailleurs dans le monde, y compris aux Etats-Unis, et ont fait la Une l’an dernier, en disant qu’il semblerait que le Viread réduise le risque de contracter le VIH).

Didier Lestrade a une nouvelle fois dénoncé les agissements d’Act Up quand le groupe a joué un rôle direct pour interrompre ces essais cliniques sur certains sites à travers le monde, au motif encore une fois qu’ils n’étaient pas éthiques par rapport aux populations issues des pays pauvres. En agissant de la sorte, Didier Lestrade s’est ainsi aligné sur la conduite des principaux activistes américains ou sud-africains, comme Mark Harrington, Gregg Gonsalves et Nathan Geffen, contre ses propres collègues français d’Act Up, qu’ils percevaient comme davantage intéressés par le fait de s’opposer au post-colonialisme plutôt que d’agir au service des données et de la recherche, qui pourraient aider à renverser le sida.

« Act Up-Paris est mort », dit-il aujourd’hui, le ton plein de mépris. « Chiants. Ils feraient mieux de fermer boutique. » Il semble que le groupe éprouve de semblables sentiments à son égard. Dans les locaux d’Act Up, trois membres, tous la vingtaine et par conséquent enfants quand Didier Lestrade a lancé le groupe, expriment une vive frustration que le nom du groupe soit toujours aussi étroitement lié à Didier Lestrade. À part Emmanuel Château, lui-même séropositif, et membre plus récent d’Act Up au moment où son fondateur s’en éloignait, nous confie que Didier Lestrade « était à côté de la plaque [à propos des essais contestés de médicaments]. Il minimisait le volet éthique. ». De l’autre côté, l’activiste américain Mark Harrington de la première heure reconnaît que ces essais soulevaient des questions éthiques, mais que ces essais devaient être amendés, et non stoppés. « Dans d’autres endroits du monde, ces essais ont été améliorés, et non abandonnés. », ajoute-t-il, « et ils ont conduit à des avancées spectaculaires l’an dernier. »

Avec tout le tumulte du passé, la vie de Didier Lestrade est devenue plus sereine. C’est à ce moment qu’est arrivé le roman de Tristan Garcia. Aux yeux d’un américain, c’est un objet de curiosité, plus traversé par les idées politiques typiquement françaises et plutôt abstraites sur la gauche et la droite que basé sur des personnages et des émotions humaines crédibles. C’est aussi un livre étonnamment calme, dépassionné, sans véritable héros, au milieu du désir mutuel de Lestrade et Dustan de ruiner la réputation du camp adverse. « Je voulais comprendre cette époque en France, qui était proche de l’ère Reagan aux USA ou de Margaret Thatcher en Grande-Bretagne », dit l’auteur Tristan Garcia. « C’était la fin de l’idéalisme à gauche, et il n’y avait guère que les gays et Act Up pour faire quelque chose de définitivement intéressant, de différent. » Il insiste pour ajouter que dans la réalité, il se situe du côté de Lestrade, contre le bareback, mais qu’il ne voulait pas que son livre prenne parti ou devienne simpliste. Demandez-lui pourquoi il a fait de Lestrade le personnage qui a contaminé Dustan dans une ancienne histoire d’amour, et il prend toutes les précautions pour dire que les personnages ne sont pas basés sur les originaux dont ils sont inspirés – ils sont une fiction, mélangée avec des éléments empruntés à l’histoire réelle.

Didier Lestrade exprime sa colère car Trista Garcia ne l’a tenu informé de rien, lui écrivant seulement après que le livre soit sorti – et que les noms de Dustan et Lestrade aient refait surface dans les médias – et il reconnaît qu’il y a des ressemblances par rapport à la vraie vie, mais il insiste sur le fait que ces personnages ne sont pas des clones parfaits de lui et de Dustan. Il est surtout en colère parce que Garcia a donné à son personnage des origines bourgeoises alors qu’en réalité, c’est le contraire. Mais il est surtout contrarié par le fait que Garcia et Dustan aient été remarqués aux Etats-Unis. « Personne ne ME CONNAIT EN AMERIQUE » se plaint-il en lettres capitales par mail. « Tout ce que j’ai fait dans ma vie était pour l’Amérique. J’essayais juste d’être aussi bon qu’ACT UP New York, et puis ce gosse prend tout le crédit et personne ne sait qui vous êtes ». (Malgré tout, Lestrade et Garcia admettent être en bons termes via mail et sur Facebook).

Didier Lestrade désire désespérément un éditeur anglais ou américain pour traduire ses livres, parmi lesquels une histoire d’Act Up, un livre de souvenirs des années 180 à Paris appelé « Kinsey 6 » et une longue diatribe contre le bareback appelée « The End ». Il a un autre livre en préparation, sortie prévue pour cet été, mais il n’est pas disposé à en parler parce que, dit-il, ce sera « un véritable brûlot, hautement sujet à controverse » chez les gays français et les gens de gauche. Et il continue à crier, dans les colonnes de Minorites.org, sur des sujets qui vont des erreurs de gestion de AIDEs, la plus grosse association française de lutte contre le sida. Il dit qu’il a l’intention d’écrire en anglais sur son site mais qu’il ne l’a pas encore fait, ce qui contribue encore à son défaut d’existence aux Etats-Unis. Et il continue, encore et toujours à s’énerver contre les ravages du sexe à risque, montrant du doigt la hausse des contaminations par voie sexuelle de l’hépatite C chez les hommes homosexuels à travers l’Europe. « Tout le monde pratique le fist-fucking, » lâche-t-il dans un sarcasme. « Ces gamins de 22 piges se prennent un bras jusqu’au coude, et sourient benoitement. » (C’est très exactement le genre de propos de la part de Didier Lestrade qu’Emmanuel Château d’Act Up-Paris trouve très exagéré, moralisateur et contre-productif pour encourager la pratique du safe sex.)

Ce n’est que lorsqu’on le pousse qu’il admet que, tout comme Larry Kramer, quoiqu’il fasse ensuite, il est content d’avoir bâti sa réputation en tant que pionnier en matière de sida – comme celui qui a hurlé pour agir à une époque troublée et qui a provoqué les choses, comme quelqu’un qui n’a jamais eu peur de désigner ce qu’il pensait être la vérité nue, aussi noire fût-elle, sur des comportements néfastes, quitte à y perdre des amis et de sa réputation. « Je suis super fier, » reconnaît-il, à moitié convaincant. « Mais je ne suis pas vraiment méchant, ni désagréable, en fin de compte. » D’autres avancent, timidement, d’autres hypothèses : « Il est le père de l’activisme à la française, en matière de traitements », dit Gregg Gonsalves. « J’espère qu’il aime être appelé un daddy. ».