Politique / Sida Le temps que l’on perd

La lutte contre l’homophobie devient un cliché. A l’approche de la journée mondiale contre l’homophobie, certains pensent que ce combat nécessaire est en train d’étouffer d’autres attentes.

Un mélange surprenant d’incompréhension et de défaitisme persiste dans l’observation du LGBTisme. Chloroforme de la culture gay, désintérêt réel d’une partie de la communauté, écho relatif dans les sphères politiques et fracassant mutisme sur les vraies évolutions du style de vie homosexuel (Internet, fossé générationnel et chambre d’écho du doute existentiel), on finit par se demander si le petit monde LGBT ne fait pas plus de mal que de bien.

Les groupes les plus « radicaux » singent avec absurdité un esprit contestataire issu des années 70. On a beau être en 2009, les UEEH perpétuent des travaux de vacances où on apprend à gérer le port de la robe à carreaux de ménagère portugaise qui avait tant de succès dans les squatts gays parisiens d’il y a … 30 ans. Bien sûr, le flambeau de la mémoire doit être passé de génération en génération, mais prend-il compte la mesure des révolutions psychologiques causées par Internet 2.0 ? Il est rassurant de voir des groupes surveiller l’actualité politique avec la même attention pour le scandale que la Gay & Lesbian Alliance Against Diffamation qui, aux USA, décortique chaque manifestation de l’homophobie médiatique, mais GLAAD a été créé en 1985. Et l’activisme français mériterait d’entreprendre les mêmes voyages à l’étranger que les militants du GLH dans les années 70, dont les expéditions étaient surtout des opportunités pour ramener en France des idées issues des centres communautaires américains, hollandais ou de Londres (Brixton surtout). Il est possible de faire du vagabondage sexuel (et les militants en font beaucoup aussi, n’en doutez pas) tout en s’inspirant de l’intelligence des autres, ce n’est pas incompatible.

En France, quand « The L Word » est apparu à la télé, les lesbiennes hardcore y ont vu une récupération commerciale alors qu’elles exigent toujours plus de visibilité. Il n’y a pas si longtemps, un show de télé réalité a ajouté un transexuel dans son casting, pour la première fois en France, et voilà les voix outrées qui se sont élèvées pour condamner cette grossière déformation de ce qu’est vraiment le monde trans. Joli soutien en faveur d’une personne courageuse qui se trouvait être la première à dire ce qu’elle était dans un spectacle de masse. C’est comme si on avait critiqué les premiers séropos à la télé parce qu’ils réduisaient la problématique de l’épidémie à leur seul cas.

Bref, l’aggiornamento politique si espéré au sein des instances socialistes est aussi attendu du côté du mouvement LGBT. La question LGBT se résume-t-elle à radoter sur l’estime de soi ? Les structures associatives sont-elles toujours sous la coupe des quadras et plus ? Qui s’occupe de la montée en puissance sans précédent de la visibilité noire et arabe sur les sites de rencontre gays ? Ces jeunes sont-ils résumés à une source de plaisir sexuel ? Pire : assiste-t-on à un clivage entre la majorité blanche petite bourgeoise gay et la banlieue, source de toutes les homophobies ? Les arabes gays seraient-ils les ennemis des gays blancs, comme la société française focalise toutes ses peurs sur la question religieuse ? La communauté LGBT n’a-t-elle pas la responsabilité de montrer à la société que la diversité est facile à réaliser quand on décide de s’attaquer aux grandes questions au lieu de bloquer sur des polémiques qui font bailler tout le monde, même ceux qui leur donnent une résonance ? Les groupes associatifs refusent-ils d’admettre l’intégration réelle des gays pour mieux s’enfermer dans une posture de victime ? Sommes-nous devenus uniquement un hyperlink ? Quand la question d’identité se limite au genre, que dire de l’explosion de la fausse identité quant tant de gays se définissent à travers 10 profils différents, chacun faisant office de niche sexuelle ?

En effet, il existe aujourd’hui trop de niches pour se cacher à l’intérieur d’un exhibitionnisme de masse que nous créons et la question LGBT se détourne systématiquement de la valeur la plus importante, la plus philosophique qui soit : le temps. Le retard que nous prenons chaque jour dans l’observation de ces vraies questions, il faudra bien le rattraper un jour. Et qui s’en chargera ?