Politique / Sida Pour Chrétiens & Sida

La prévention du sida vit depuis quelque temps une situation étonnante, dans le vrai sens du terme, avec des donnés scientifiques et épidémiologiques qui surprennent les observateurs. Dans les pays riches, l’importante couverture thérapeutique des personnes séropositives semble vraiment réduire la circulation du virus, avec des charges virales moins élevées et, de fait, un état d’esprit plus serein pour les séronégatifs qui tiennent toujours à se protéger — et protéger les autres. Dans certaines villes comme San Francisco, le nombre des nouvelles contaminations paraît même être à la baisse ! La nouvelle décennie a presque tournée la page de l’affrontement idéologique entre ceux qui prennent volontairement des risques sida et ceux qui en appellent à la solidarité, à l’effort commun pour réduire cette épidémie à son maximum. On s’oppose moins, mais on s’observe autant.

Car les nouveaux outils du futur ont réellement la possibilité de limiter cette épidémie, de l’étouffer même peut-être, beaucoup plus efficacement qu’un hypothétique vaccin. Si l’on traite un maximum de personnes séropositives, on les aide à rester en bonne santé. Si on dépiste rapidement, en une demi-heure à peine, on informe plus vite et il n’y a plus tous ces 30% de perdus de vue qui ne viennent pas chercher leurs résultats dans les centres de dépistage habituels. Si on traite en préventive (PreP), on peut sauver ceux qui sont à très haut risque de contamination (travailleurs du sexe, etc.). Si on lance des campagnes massives de dépistage (il est temps de dépister toute la population, une idée éthiquement impossible il y a encore 10 ans), on débusque le VIH là où il se cache le mieux. Enfin, si on utilise les autres outils possibles (dépistage par voie orale, monitoring à distance par téléphone, etc.) on peut affronter le sida dans les endroits reculés de l’Afrique.

Ces nouvelles sont belles. Elles apportent l’espoir. Oui, elles ouvrent la voix à de plus grands profits pour l’industrie pharmaceutique. Mais il serait politiquement idiot de refuser ces avancées parce qu’elles sont le résultat de la recherche. La science ne se limite plus au traitement du VIH, elle anticipe pour les personnes séronégatives, celles qui devraient être, je pense, les plus protégées.

Mais ce qui se passe, c’est que ces bonnes nouvelles sont source d’immense anxiété. Tout d’abord, elles sont critiquées par beaucoup de personnes à l’intérieur même du milieu associatif sida, qui traîne des pieds. Mais elle est vécue aussi par ceux qui sont à l‘extérieur de ce milieu comme une période grise de l’épidémie, entre l‘espoir et le souvenir douloureux du passé qui est souvent le moteur de la protection. Cette période est déstabilisante – et pas seulement pour les séronégatifs.

À un moment où tout le monde prend davantage de risques sexuels (les gays les jeunes, les vieux, tout le monde), l’incertitude est source de peurs irrationnelles. Encore aujourd’hui, un ami m’a appelé, paniqué car il veut se faire dépister à cause d’un risque que je trouve personnellement très secondaire. Il me dit : « Je me ferai dépister vendredi ». Nous sommes lundi. Je me mets en colère : « Mais pourquoi attends-tu vendredi quand tu peux te faire dépister rapidement, dès aujourd’hui ? » C’est le même homme de 40 ans à qui je disais, il y a encore 15 jours, que cela ne me gênait pas de le conseiller sur ce sujet depuis des années, mais qu’il était largement temps pour lui d’aller sur Internet pour s’informer par lui-même sur les peurs qui le hantent. Les outils sont là !

Je me dis alors parfois que les gays utilisent cette période grise pour ne pas faire leur homework, ils délèguent leurs responsabilités sur les autres ou sur les nouvelles technologies de la prévention ou même sur ceux qu’ils considèrent fautifs. Après tout, l’Eglise n’évolue toujours pas sur le sida et beaucoup sont ceux qui pensent, par vengeance : « Si l’Etat et l’Eglise n’ont toujours pas compris le problème du sida depuis 30 ans, pourquoi serais-je moi-même au dessus de tout soupçon ? Fuck la morale ». Et c’est l’égoïsme, le non respect de l’autre, l’inadvertance, le refus de voir les choses par soi-même. Et cela finit par la culpabilité de la contamination qui, à notre époque, avec ces nouveaux outils précisément, ne devrait pas avoir lieu. Et cela provoque encore, car ce n‘est pas fini, des procès pour contamination volontaire parce que l’on se dit que l’on n’est plus contaminant avec une charge virale indétectable, parce qu’on ne veut pas réfléchir et que l’on pense à son propre plaisir. Modernité scientifique ou pas, cette épidémie reste éminemment morale. Devenir séropo aujourd’hui, c’est un échec de la société et de la communauté sida, mais c’est surtout un énorme échec existentiel pour la personne. Qui se dit : « Et si je m’étais mieux renseigné ? Et si j’arrêtais de rejeter la faute sur tout le monde ? »

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