Politique / Sida Le Journal du Sida Avril 2005

Compte à rebours

Il y a une dizaine de jours, le Crips a organisé une de ses réunions d’information sur la prévention et notamment sur la pénalisation du sida. La conférence s’est déroulée à la Cité des Sciences, devant plus de 200 personnes. Médecins, infirmières, chercheurs, associations, institutions gouvernementales, médias, tout le monde était à l’heure dès les premières sessions de la matinée. Ce qui reflète, en soi, l’intérêt grandissant pour ces sujets. C’était la première réunion associative de grande ampleur à laquelle j’assistais depuis un an. J’étais curieux de voir ce qui allait se passer et comment les personnes allaient aborder des sujets qui deviennent de plus en plus polémiques. Car à travers l’affaire du virus multirésistant de New York, le procès de Colmar sur la pénalisation de la contamination volontaire du VIH, les chiffres toujours inquiétants sur la remontée de l’épidémie en France, les médias sont en train de réagir. Pendant longtemps, ces derniers se sont limités à une attitude patiente : ils attendaient que les associations, ou les chercheurs, interviennent. Comme le débat met du temps à s’installer, les médias commencent à poser les questions qui fâchent et qui n’auraient pas pu être posées il y a encore un an. Ils cherchent à comprendre pourquoi l’épidémie reprend, particulièrement chez les homosexuels.

Les sessions du matin, pendant la journée du Crips, ont apporté des informations importantes. Un représentant du CDAG de l’Hôpital Bichat, par exemple, a décrit comment certains jeunes homosexuels cherchent volontairement la contamination alors qu’ils connaissent toutes les subtilités de la prévention et des traitements médicaux. Le paradoxe entre la peur d’être contaminé et l’envie de l’être, pour passer à autre chose, a été démontré par cet intervenant qui n’avait pas peur de déclarer, sans jugement aucun, que ce fonctionnement était assez nouveau dans le processus de dépistage. Une enquête menée auprès d’internautes homosexuels sur les sites de drague montrait clairement que les séropositifs avaient deux fois plus de pratiques non protégées que les séronégatifs. Non seulement ils prennent plus de risques, mais leur intention est très franche, théorisée. La complaisance face au risque est élevée, ce qui prouve que certains gays n’ont plus de scrupules face à l’injonction de la prévention.

Quand on réalise que le discours associatif sur la prévention a si peu d’impact sur le raisonnement sexuel de certains homosexuels, on est en droit de se demander quelles sont les nouvelles stratégies associatives pour reprendre le dessus. L’après-midi, les associations se sont succédées à la table des invités, mais il est clair que nous en sommes toujours au stade de la passe d’armes. Chacune défend sa vision des choses et les dissensions sur le sujet de la prévention sont de plus en plus manifestes. Ce qui est nouveau dans ce constat, c’est que désormais, ces disputes ont lieu au vu de tous. Les 200 personnes présentes ont eu de nombreuses occasions pour vérifier que les associations préfèrent picorer sur le politiquement correct des mots plutôt qu’affronter l’absence d’union face à un sujet qui exige une coordination des demandes. Comment critiquer le gouvernement et son retard dans la prévention si les groupes qui défendent les séropositifs (et les séronégatifs, faut-il le rappeler ?) ne sont toujours pas en mesure de s’entendre ? Non seulement le consensus n’est pas atteint, mais les représentants associatifs montrent, à travers leur manie de la concurrence, qu’ils n’ont pas pris la mesure de l’échec de la prévention puisque aucun ne parvient à refléter, dans son discours, la vraie gravité de la situation. La confiance envers les associations, qui a été la base de l’efficacité de ces dernières depuis plus de vingt ans, est en train de s’effriter d’une manière très rapide. Les médias en sont conscients. De plus en plus d’homosexuels considèrent, avec colère et tristesse, que « les associations sont lâches ». Ils ont réellement attendu que ces dernières s’engagent et prennent la mesure du risque pour l’épidémie – et pour eux-mêmes. Car si la société réalise que les associations ont raté le côche de la prévention, en s’abritant derrière des concepts bien faciles de « responsabilité partagée » ou de l’extrême « souffrance » ou « stigmatisation » des séropositifs, ce qui expliquerait tout, alors la société aura le droit de se demander si le financement de ce milieu associatif est complètement mérité. On voit bien que ce sujet est en train de prendre des proportions qui dépassent de loin le refus de la capote. Il en va de l’éthique et du courage. Le Crips l’a remarqué. Et d’autres réunions, dans les mois qui viennent, à l’initiation et sous la modération d’autres organismes, devraient remettre les associations autour d’une même table. Nous verrons bien si ces dernières vont se mettre à parler, réellement, au lieu de chipoter sur des sujets vraiment secondaires.