Politique / Sida Le Journal du Sida Avril 2007

La splendeur de l’herbe

À la campagne, le printemps est le moment de la course. Il s’agit de tout préparer avant que la sève monte, et cela peut arriver à tout moment, d’un jour à l’autre. Le vent passe encore à travers les branches du sapin, le toit de la maison respire sous le soleil en produisant quelques sons de matières qui se dilatent après l’humidité accumulée ces dernières semaines. Je ne rêve pas de ce que je pourrais avoir, de ce que je pourrais m’acheter, de ce qui me tente dans la société. Je rêve de ce que j’ai, du peu que j’ai, sur place. The best things in life are free. Il y a encore cinq ans, je ne comprenais pas très bien les paroles de cette chanson. Parfois, je décide de faire une sieste quand je suis trop fatigué. Je provoque aussi ces siestes quand je veux réfléchir. « Il y a des images de « Printemps, Eté, Automne, Hiver » de Kim Di-Duk qui me reviennent, je dois glisser plus profond dans cette rêverie. Je peux enfin comprendre les obsessions miniatures qui ont marqué mon adolescence comme quand j’ai vu pour la première fois « Splendor of the Grass » avec Warren Beatty. Pourquoi le visage de Tyrone Power est si rayonnant dans « L’Incendie de Chicago » ? Pourquoi « Le Nouveau Monde » de Terrence Malick me fait frémir de plaisir ? Il y a des films qui reflètent mieux que d’autres les herbes et les arbres qui nous entourent et cette gratuité de la vie est finalement peu discutée. Verlyn Klinkenborg, dans le New York Times, et Alain Lompech, dans Le Monde, écrivent de très bonnes chroniques sur le jardinage. Mais ce sont des billets trop courts. Il existe une place pour des gens, même très modestes, qui raconteraient ce qu’ils font, pas sous un angle pratique, mais sous celui que procure la nature sur eux. Il y a quelques mois, un ami anglais, un peu shaman, m’avait envoyé un mail pour me demander : « Tu as vu la pleine lune, hier ? Toutes les chouettes autour de moi hululaient ». Et la nuit précédente, j’étais dehors, à admirer la lune avec toutes les chouettes à cinq kilomètres à la ronde qui s’appelaient. Sans le savoir, lui dans sa maisonnette du Devon et moi en Normandie, nous étions totalement synchro. C’est le genre d’histoire qui serait intéressant de publier. Personne ne parle des gens qui restent trois heures devant la mer pendant la nuit, ou qui se promènent à la lumière d’une torche dans les bois ou sur les chemins, qui restent une heure devant leur petite fontaine au lieu d’aller se coucher, qui gèlent sur un banc à deux heures du matin en plein hiver.

Désormais, la majeure partie de mes amis passe le week-end à la campagne avec son ordinateur portable sur les genoux. C’est une nouvelle tendance, ils téléchargent pendant des heures la musique qu’ils n’ont pas pu emmagasiner pendant la semaine. Ils se rattrapent. Ils cherchent dans ma collection de CDs ceux qu’ils veulent ramener chez eux sous forme de copie. Pour paraphraser une célèbre sociologue, ils ne se demandent plus ce que leur ordinateur peut faire pour eux, ils se demandent plutôt s’ils ont assez nourri leur machine qui demandent sans cesse plus d’attention. Je ne m’offusque pas de ce passe-temps, si c’est leur nouvelle manière de se décontracter en pianotant sur leur iMac devant la cheminée. Je remarque juste qu’ils ne mettent plus le nez dehors, alors qu’ils viennent passer trois jours à la campagne. Cela m’offre plus de tranquillité dehors, à jardiner. Je ne m’offusque donc pas, même si je me moque un peu. Je leur dis que ça leur ferait sûrement du bien de faire un break de YouTube. Ils sont tous conscients de l’imbécillité que charrie MySpace, mais pour l’instant, ne parviennent pas à s’en défaire. Alors, quand je leur dis que je me spécialise dans le fait de semer chez moi des plantes qui poussent dans la nature, je veux dire, cells qui poussent de l’autre côté du fossé, ils se demandent si c’est vraiment intéressant de se fatiguer pour quelque chose qui est si proche. Eux cherchent ce qui est le plus loin possible. Qu’est-ce que ça veut dire ? Rencontrer un homme à Orléans paraît désormais fade. Il faut qu’il sorte d’une région inconnue de l’Asie mineure. Qu’est-ce qui pousse les gens à être si avides de distance ? C’est parce qu’ils vivent désormais dans leur ordinateur, qui les suit partout. Ils préfèrent regarder le monde à travers des pixels. Alors que le printemps est en train de dérouler ses parfums, là, de l’autre côté de la fenêtre.