Politique / Sida Le Journal du Sida Décembre 2009

Mon mari, qui est séronégatif, est tombé amoureux ma dermatologue. Je l’ai dirigé vers elle pour son check-up annuel et, comme tout le monde, il est tombé sous le charme. Au début, il était terrorisé à l’idée de lui montrer ses petits boutons et ses mystères de peau. Désormais, les deux passent une demi-heure à parler du sida et de la politique générale. J’en serais presque jaloux, moi qui fais toujours vite pour que les patients après moi n’aient pas à attendre. Je me demande ce qu’il va dire quand je vais l’envoyer chez mon ophtalmo qui est une des plus belles femmes que je connaisse. Depuis quinze ans, je l’ai vue à travers les larmes qu’elle provoque pour mes fonds d’œil, à une époque où l’on redoutait ces examens car s’il y avait bien quelque chose que l’on ne voulait pas perdre, en tant que sidéen, c’était bien la vue. Les années ont passé et elle est toujours aussi belle. Parfois ça fait mal aux yeux de la regarder. Et comme mon mari aura bientôt besoin d’aller chez le dentiste car il n’a personne sur Paris, il va s’entendre comme cul et chemise avec la mienne, que j’adore bien sûr. Ce n’est plus une torture d’aller chez le dentiste. Avec elle, c’est un plaisir.

De tous les côtés, du cardiologue au médecin généraliste, je ne sais pas comment j’ai fait pour m’entourer de praticiens aussi géniaux. Je n’ai pas cherché leur affection, je ne leur fais pas de courbettes et je ne suis pas un de ces séropos qui se s’estiment mis en valeur quand ils sont à 30 centimètres d’un grand chercheur. Cela ne m’intéresse pas de vivre dans leurs pattes, je ne les vois pas souvent, je ne cherche pas à tenir une correspondance avec eux. Bref, je reste à distance. Cela me gêne quand on se tutoie, par exemple. Mais ces trois femmes, la dermato, la dentiste et l’ophtalmo, sont formidables. Ce sont les trois fées. La première semble triste et chaleureuse à la fois, elle suscite la gentillesse et la patience (elle est toujours en retard). La seconde sourit et blague tout le temps et je ne sais pas comment elle fait, c’est pourtant pas drôle de farfouiller dans les bouches des gens toute la journée. La troisième est si belle et si zen qu’on ose à peine la regarder (je radote, mais c’est vrai !). La dernière fois, elle m’a fait la leçon parce que je n’ai toujours pas de portable et elle m’a parlé comme si j’étais totalement débile, du genre « , ‘ ça aide beaucoup, un portable, vous savez ». Je crois sincèrement qu’elle s’adressait à moi comme si j’étais devenu un plouc de la campagne. Comme si j’étais complètement crétin. Ça m’a fait rire.

Mon cardio, lui, a une salle d’attente atroce, qui semble bloquée dans une mauvaise parenthèse des années 70, mais il est adorable et il me pose toujours des questions sur la crise économique. Surtout, il m’a sorti de cette crise cardiaque, il y a deux ans. C’est comme si je lui devais la vie, quoi. Et mon médecin VIH ? Oh lui, il est tellement parfait que je lui ai envoyé tous mes boyfriends et amis depuis 15 ans et je ne crois pas que ce soit forcément un cadeau. Mon idée derrière tout ça. Je dois avoir de la chance. J’ai choisi ces médecins parce qu’ils étaient les premiers, à leur époque, à être complètement à l’aise avec les séropositifs. Avec le temps, j’ai presque fini par oublier leur compréhension du sujet sida pour apprécier surtout leur professionnalisme. Après tout, le succès aurait pu les rendre désagréables, ça arrive. En fait, ils sont devenus de plus en plus gentils. Comme s’ils étaient vraiment rassurés de nous voir toujours vivants. Ça les repose, je suppose. Et la chance de les avoir a changé mon point de vue sur les médecins, en général. Ça commence à m’énerver de voir certains séropositifs ou certaines associations entretenir cette méfiance vis-à-vis du corps médical. Lors de la dernière journée d’échange autour du rapport Lert/ Pialoux sur la RDR, quelqu’un a dit qu’il fallait « remédicaliser » la prévention. Je suis d’accord. Il est temps. Je suis prêt.