Politique / Sida Le Journal du Sida Février 2008
Primavera
Soudain, vers 21 heures, l’hôpital devient incroyablement silencieux, c’est comme si des milliers de personnes avaient disparu des murs d’un coup, sans faire de bruit. Le silence est tel qu’on a l’agréable impression d’avoir été abandonné pour la nuit, après le remue ménage incessant de la journée. J’ai beau tendre l’oreille, plus rien. Il est alors possible de descendre les étages pour se promener en pyjama dans les couloirs interminables et vides qui forment un carré avec de nombreuses entrées et sorties, comme dans un Louvre nocturne envahi par le vent qui pénètre d’une porte métallique mystérieusement laissée ouverte sur un jardin envahi par des préfabriqués et quelques thuyas qui, dans ce calme, produisent plus de parfum qu’à la campagne. Un infirmier antillais d’une vingtaine d’années passe lentement, sifflant une mélodie méconnaissable, juste deux notes aigues, comme s’il annonçait une heure pas si tardive. J’allume la deuxième cigarette de la journée en me disant que, décidément, ce n’est pas si difficile de fumer moins, mais je sais que l’hôpital provoque, c’est connu, des efforts.
Une semaine plus tard et deux coronanographies successives, trois stents et plusieurs perfusions, je rentre chez moi guéri avec du Plavix à prendre pendant un an et du Cardegic à vie, comme les vieux. Le retour à la campagne coïncide avec le premier patch contre le tabac et le sevrage débute, plutôt bien, malgré des cauchemars vraiment stupides, mais d’une acuité sans précédent. Toutes les peurs existentielles s’empilent les unes sur les autres dans ce joli foutoir imaginaire et je me réveille tous les matins à 6 heures, alors qu’il fait encore nuit. Bah, tant pis, c’est probablement la cigarette interdite qui a programmé l’horloge interne et qui a décidé de me faire vivre un thriller absurde dans lequel je finis à la rue, pourchassé par plusieurs polices européennes, avec des tongs dans la neige. Un autre cauchemar suit (des souris et des rats, super) et quand je me réveille pour de bon, il fait beau. Le cœur est nettoyé, l’énergie revient d’un coup, presque d’une manière mécanique. Après trois mois d’immobilité, je mets timidement un pied dehors, malgré le givre qui recouvre la pelouse et les fleurs séchées des sedum. Je ne fume plus. Les médecins ont été formels. Et voilà que ma dernière mauvaise habitude doit être abandonnée, avec insistance. Mon dernier vice. Je suis compliant, méga safe, je ne me drogue plus, je respecte les limitations de vitesse en voiture, je mange équilibré, je ne me couche pas trop tard, je ne vis pas au-dessus de mes moyens et je ne bois jamais, au point que de ne pas voir, carrément, les bouteilles en verre dans les supermarchés. J’en ai franchement marre de faire les choses toujours comme il faut et maintenant, c’est la cigarette qui s’en va. C’est ironique. Mais ce n’est pas juste. Si au moins j’avais du cholestérol. Même pas. J’en ai juste un peu là où il ne faut pas, c’est tout. Le fait est, ces trois mois de maladie cardiaque m’ont fait beaucoup réfléchir. J’ai toujours la possibilité de choisir et c’est malgré tout un privilège. Si je veux pouvoir sortir dans ce jardin pour faire ce qui me fait du bien, alors c’est le plus important. Je veux retrouver le calme de la campagne sans le bruit de cette douleur dans la cage thoracique et la guérison arrive avec le printemps et mon cinquantième anniversaire. Un chiffre ahurissant, dans le vrai sens du mot. Je viens d’entrer dans une catégorie générationnelle dont on ne sort plus. Mais surtout : qui aurait pu penser que je vivrais si longtemps ?