Politique / Sida Le Journal du Sida Février 2009

Now Voyager

Il y a trois ans, en revenant de New York, j’ai fait la connaissance d’une jeune femme dans l’avion. J’étais déjà à ma place, bien calé contre la fenêtre, alors que le reste des passagers embarquait. Comme toujours, mon esprit était fermé, les mâchoires serrées, j’avais déjà envisagé le pire pour le voyage : des enfants tout autour de moi, beaucoup d’enfants. À la place est arrivée cette femme, brune, assez jolie, et je lui ai lancé mon regard de bienvenue traditionnel : ici on ne rigole pas, et je n’ai pas envie de me faire emmerder. Mais celle-ci m’a lancé un sourire qui m’a complètement désarmé, c’est comme si elle m’avait touché avec une baguette magique qui aurait dit : « Je ne suis pas exactement celle que vous pensez ». L’avion n’était même pas sur le point de décoller que nous étions lancés dans une discussion qui, chaque minute d’avantage, me stupéfiait par son évidence. Elle s’installa, et en quelques instants, sans même que cela semble forcé, j’apprenais qu’elle était heureuse de retrouver son petit ami, Français, qui l’attendait à Paris. Elle était aussi fatiguée, car elle venait de San Francisco. Par le plus grand des hasards, elle me dit plus tard qu’elle travaillait dans un centre d’hébergement pour femmes séropositives. Je finis par lui dire que j’avais moi aussi travaillé dans la lutte contre le VIH. L’avion se dirigeait très lentement vers la piste de décollage, nous étions en neuvième position, le voyage prenait beaucoup de retard, c’était une nuit glaciale d’hiver. Dans ma vraie vie, j’aurais été d’une humeur exécrable, avec un gros nuage noir sur la tête. Mais nous étions dans un échange si intime que les amis qui m’accompagnaient dans ce voyage, assis plus loin dans l’avion, me regardaient avec de grands yeux : « De quoi est-il en train de parler d’une manière si amicale ??? ». J’étais là, évaluant à voix basse les avantages et les inconvénients d’une long distance love affair, puisque cette femme de 24 ans se demandait si elle allait s’installer en France pour se marier avec ce Français. Et comme j’ai vécu ça, il y a vingt ans, avec le plus bel amour de ma vie, j’avais deux ou trois conseils à lui offrir.

Quand l’avion a finalement décollé, notre discussion s’est légèrement évaporée. Les Américains possèdent énormément de codes dans la conversation : il ne faut pas trop en dire, l’exaltation n’est pas quelque chose dont il faut abuser, certaines distances doivent être respectées. Nous aurions pu aller plus loin dans les confidences, mais l’objectif était déjà atteint : nous avions vécu un « moment » et cette femme, qui était deux fois plus jeune que moi, très WASP de la côte Ouest, m’avait mis dans sa poche. La confiance avait surgi, de nulle part, le genre de truc dont on fait des romans. Mon point : désormais, mes amis et moi, quand nous parlons de quelqu’un à qui on ne peut pas faire confiance, nous disons « c’est un barabacker ». La traîtrise a un nom, c’est devenu une formule de langage, exactement comme les médias américains sont en train d’utiliser le nom de Madoff comme un adjectif. Comme : « Ce contrat est tellement Madoff ! ». En attendant de voir l’apparition du verbe : « Tu n’as pas intérêt à me madoffer ! ». Beaucoup de gens disent que la crise que nous traversons n’est pas seulement une crise économique. C’est une crise de confiance. Et dans la sexualité, Madoff, c’est le barebacker.