Politique / Sida Le Journal du Sida Janvier 2006

Vivement 2007
J’ai du retard dans ma lecture de la presse alors je lis le Libération du 1er janvier dernier avec vingt jours de retard. Cinq pages rétrospectives sur cette année 2005 dont on se souviendra peut-être trop longtemps. Une pointe d’humour traverse les pages : l’avalanche de mauvaises nouvelles françaises a quelque chose de si logique, de si cohérent, que cela ressemble à un sketch ben construit. Quand on fait la liste de tout ça, on peut imaginer, en miroir, ce qui pourrait arriver désormais. Mon avis caché est qu’il n’y a pas de raison pour que 2006 s’annonce meilleur. Il y aura d’autres catastrophes de petite ou moyenne envergure qui vont s’ajouter les unes aux autres pour créer un millefeuille de frustration. Tout le monde parle de l’état lamentable de la France. C’est devenu un sujet qui vous assure une discussion intéressante avec pratiquement n’importe qui, dans ce pays ou à l’étranger. Ce qui est intéressant, c’est que tous les mots qui définissent cette crise française pourraient très bien décrire la situation du sida aujourd’hui.
Mélancolie : d’une période où les homosexuels se flattaient de vouloir de protéger leur voisin. Aujourd’hui, ils se rassurent en se trouvant des « déterminants » qui expliquent leur échec. Déprime : si tout le monde le fait, pourquoi pas moi ? Il y a un aspect jouissif dans la déprime, c’est celui d’être malheureux avec éclat. Débâcle : ce monde associatif est peut-être la source de l’immobilisme. Oui, nous ressentons la même colère envers ces associations que les Français ressentent vis-à-vis de leurs partis politiques. Agonie : d’un espoir homosexuel qui a fait vivre les générations précédentes. Pour moi, c’est ce qu’il y a de pire. Avant, l’espoir était facile, aujourd’hui, il faut le créer sur de la terre vraiment très brûlée. Révolte : cela ne sert probablement à rien puisque chacun se protège en gardant son propre domaine contre celui des autres. Les droits des gays, d’accord ! Ceux des Noirs ou des Arabes, plus tard ! Déclinisme : on ne le mérite pas. Nous sommes entourés de bonnes idées, les médias ne cessent de montrer ce qui marche à l’étranger, de l’immeuble éco-friendly en Angleterre au repeuplement des zones désertées de l’Espagne grâce à l’immigration. Désarroi : les gens savent sincèrement ce qu’il faut faire pour bouger, mais en ont-ils le courage ? La France est une exception : chez nous, même le sida n’est pas le même qu’ailleurs. Aberration : si la crise du sida est terminée, alors que vivons-nous si ce n’est pas une crise ? Pourquoi toutes ces disputes et qui aura le courage de faire l’arbitre ? Mal-être : il a bon dos, quand on n’a pas le courage d’être responsable. Vous avez remarqué : même pour vendre un disque, il faut pouvoir raconter qu’on a été abusé, violé, meurtri. Dans la prévention du sida, il y a des gens qui expliquent, sérieusement, comment un geste homophobe datant de quinze ans est en train de décider du safe sex de l’instant. C’est un peu facile. Haine de soi : la moindre personne qui essaye de se tenir à ses principes, aujourd’hui, est accusée de ça. Victime : si j’en suis une, alors je peux faire ce que je veux. Je viens de recevoir aujourd’hui le premier livre américain qui, enfin, nous donne un avis sur le bareback. « Without condoms » de Michael Shernoff (Routledge) nous explique, sur 360 pages, que ce n’est pas trop grave, finalement. Bien sûr, c’est un psy souriant qui l’a écrit. Dans le sida comme ailleurs, nous sommes désormais gouvernés par une légion de psys qui ont enfin leur moment de gloire. Partout, les gens les appellent au secours pour se « reconstruire » et le jargon doloriste remplace celui, plus pragmatique, de la science qui a permis à ceux qui sont encore vivants de se plaindre.
Finalement, vous avez envie de leur mettre une baffe en pleine figure, à tous ces pleurnichards, parce qu’il y a un mot qu’ils n’ont pas encore ajouté à leur vocabulaire comportementaliste : c’est celui du double discours.