Politique / Sida Le Journal du Sida Juillet 2004

Tour de France

Maintenant que ma bobine est passée en première page du quotidien local, on me demande d’intervenir dans les lycées et d’autres structures pour parler de prévention. Bien sûr, je dis oui. C’est intéressant parce que cela change des blablas sur les médicaments et les problèmes d’acidose lactique. On bénéficie d’une attention maximale même si cela gêne toujours un peu de parler du sida à partir d’un point de vue gay. Mais les jeunes et les moins jeunes sont vraiment dans l’envie de comprendre ce qui se dit sur la maladie, ou plutôt ce qui ne se dit plus. Tout le monde admet qu’on ne parle plus vraiment du sujet mais il y a toujours des personnes complètement atypiques qui viennent pendant ces débats, comme ces hommes et ces femmes qui sortent d’on ne sait où quand je parle à la Fnac d’Angers ou d’Avignon. Ils sont là, en silence, pas vraiment parce qu’ils n’ont rien à faire car on sent qu’ils ont une envie particulière de comprendre. Quelqu’un dans leur famille peut-être. Une connexion secrète avec le sida qui ne sera d’ailleurs pas révélée. Pourtant, ils doivent s’accrocher pour venir, surtout quand ma voix est répercutée par les hauts parleurs du magasin entier. On se demande ce que pensent ceux qui sont en train d’acheter un DVD de « Shrek » et que ma voix résonne « Oui, le bareback, c’est le fait de baiser sans capote, blablabla ».

Ces rencontres sont des mini-shows, je dis ce que je veux dire, mais il faut surtout mettre les gens en confiance, les faire rire un peu, leur montrer qu’il y a de l’autodérision aussi. On essaie de trouver dans le regard des autres une réaction à une phrase pour comprendre mieux quels sont les mots et le ton qui leur va. Dans la ville pas loin de chez moi, une dame de 70 ans s’est endormie juste à un mètre en face de moi, après dix minutes, alors que j’étais en pleine montée du discours. C’était drôle. A Paris, un homosexuel m’a sorti un truc vraiment fort. Il a dit : « Peut-être que les gays sont prêts à souffrir beaucoup plus encore pour bénéficier d’une liberté sexuelle totale, un peu comme à San Francisco où la prévalence est double qu’à Paris ». C’était moins drôle mais très juste. Je n’y avais pas encore pensé. A Avignon, un garçon d’origine vietnamienne m’a dit que, selon lui, l’histoire de Sébastien Nouchet méritait de faire justice soi-même. A Lyon, des militants de Aides m’ont dit que mon discours parlait trop de mort et que les gays voulaient qu’on leur parle de la vie. Ah bon, quand on parle de prévention, c’est la mort, quand on parle de prise de risque, c’est la vie. A Lille, un homosexuel est passé au moment du débat pour dire : « Je ne reste pas, je vais faire le ménage chez moi ». Ca m’a fait rire, je ne m’imagine pas faire un détour pour dire à un boulanger : « Je préfère les biscottes du supermarché, finalement ». A Montpellier, les gens étaient si gentils qu’il fut vite évident, pour moi, que la vie des gays dans cette ville était trop agréable pour qu’ils puissent sentir la moindre colère. Mais le mieux, en général, c’est quand il y a des jeunes hétéros. Là, on sent qu’ils sont très avides d’information mais parfois, ils préfèreraient disparaître sous terre plutôt que l’admettre. Ils se plaignent tous de ne pas disposer d’endroits pour parler de sexualité. Quand je leur parle de chlamydia et que les filles doivent être attentives à ce truc car, si ce n’est pas traité, cela peut les rendre stériles, je sens qu’elles apprennent un truc qu’on ne leur jamais dit. Il y en a toujours un qui pose la question fatidique du vaccin et c’est toujours la même blague depuis 25 ans : « Oh, le vaccin ? Dans dix ans peut-être ». Du sida, on glisse plus logiquement vers la sexualité en général parce que, depuis un quart de siècle, le sida n’est effectivement pas passé chez eux. Ils se demandent si on leur a menti. Car il n’y a souvent personne qui soit du coin qui parle encore comme s’il était lui-même contaminé. Le silence, le secret de la vie provinciale font que, dans ces réunions, les homosexuels sont le plus souvent absents. Ils ont enfin l’occasion de parler du sujet dans leur ville, mais ils ne viendront pas. Ils se cachent.