Politique / Sida Le Journal du Sida Juillet 2005

Down that road

Depuis quatre mois, je sais conduire. Cela m’a pris plus d’un an de leçons de code et de conduite, je pensais sincèrement que je n’y arriverais pas. Bien sûr, c’est très facile, les gens ont raison. Alors, avec ma petite 4L de 1968, je découvre une nouvelle vie. La campagne n’est plus ce que je regardais à partir du siège du passager, elle devient ce qu’on appelle communément un « espace de liberté ». A 47 ans, je peux enfin aller là où je veux, dans tous les sens, quand je le veux. Cette découverte, qu’on expérimente d’habitude à 18 ans, moi je la vis trente ans plus tard. Ca ne veut pas dire la même chose. Je me doutais bien que l’obtention de ce permis relancerait le plaisir que j’éprouve à vivre à la campagne. C’est comme un nouvel appel d’air, une maturité enfin complète. Je peux m’approcher des endroits que je voulais visiter. Je peux aller à la mer quand cela me tente. Je peux amuser mes amis pour passer une après-midi au lac ou dans la forêt. Quand je vais à Paris, mes trajets sont plus rapides. Bref, prendre la voiture me met de bonne humeur.

Et, logiquement, je suis à même de mieux comprendre à quel point cette liberté de mouvement présente des liens avec une liberté sexuelle. Le plaisir de conduire peut devenir une ivresse, même avec une petite voiture. Je peux aller plus vite que ce qui est permis, je peux oublier le code de la route, je peux jouer avec le danger. Personne ne me dicte ce que je peux faire, à part la loi et ma conscience. Donc, étant la personne que je suis, je respecte le code. Je ne suis pas intéressé par l’idée de protection dans le sida pour me comporter de manière dangereuse sur la route. Je n’ai pas envie de vivre un accident et je suis encore moins amusé par l’idée de mettre en jeu la santé des autres. Avec la pratique de la conduite, je me sens plus en confiance, je pourrais tricher de temps en temps. Mais je n’ai pas dans l’idée de suivre cette route, « to go down that road », comme disent les Anglais. Cette route est, par essence, le danger. Dans les débats sur la prévention, si j’ai le malheur de faire un lien entre la sexualité et la sécurité routière, il y a toujours une personne bien-pensante qui intervient pour dire que cela n’a rien à voir. Pour certains, la prévention de la route n’a rien à voir avec la société car cela sous-etendrait que la société peut punir la sexualité. On a beau leur dire que les messages de prévention routière ont commencé à marquer les esprits lorsque les images sont devenues plus dures, plus violentes.

Beaucoup de gens pensent désormais que la lutte contre le bareback devrait utiliser des messages beaucoup plus agressifs. Certains préfèrent penser que la prévention sur la route se réduit à la répression : les PV, les radars. Mais ils se trompent car cette répression ne représente qu’un des aspects de l’expression de la société. L’Etat ne fait pas uniquement de la prévention en se montrant menaçant sur le bord des routes. L’Etat exprime par de nombreux messages sa réprobation d’une conduite irrespectueuse sur les routes. Un de ces messages réside dans le jugement très dur que l’on est en droit d’adopter désormais quand des chauffards renversent des personnes innocentes. Ces chauffards sont d’ailleurs connus pour prendre parfois la fuite au lieu d’affronter leur responsabilité. La moralité de la route conditionne notre manière de conduire beaucoup plus profondément que la présence (plutôt irrégulière) des policiers ou des radars. Ce qui est mis en relief ici, c’est ce contrat que chaque automobiliste assume face à la société. Le permis de conduire est une promesse d’obéir à certaines règles, pour ne pas souffrir soi-même et pour ne pas mettre la vie des autres en danger. C’est un accord qui sous-entend que l’Etat prendra en charge les soins d’un accident – mais que l’idéal consiste à ne pas alourdir la société avec de tels drames. C’est ce que proposent certains experts de la prévention comme Mélanie Heard quand ils disent qu’il faut établir un nouveau contrat social entre la prévention du sida et la société qui nous regarde. Et pourquoi faudrait – il instaurer un nouveau contrat social si le précédent n’était pas obsolète ? Si certains gays ne se protègent plus face au sida, cela veut dire que l’ancien contrat social est mort. Il faudrait une petite piqûre de rappel.