Politique / Sida Le Journal du Sida Juillet 2006

Le guerrier

Jour de Gay Pride à Paris. Je ne vais pas défiler parce que je fais partie de ces nombreux gays qui n’en trouvent plus l’utilité, même si je respecte la marche et que je trouve normal que ce soit un succès. Le soir, je vais quand même dire bonjour à quelques amis qui sont sur un trottoir, dans le Marais, avec un boombox qui passe des morceaux d’Electro ou des vieux classiques. Ca fait presque quatre ans que je n’ai pas mis le pied dans le quartier et les copains se moquent quand je m’étonne de voir un énorme Starbucks à côté du Cox. Je dois être le dernier à le savoir. L’ambiance n’a pas beaucoup changé, c’est toujours un peu pareil, dans un style décontracté de fin de soirée. Nous sommes assis sur des marches, des gens que je connais passent, je demande comment ça va, c’est un moment agréable. Et puis arrive un homosexuel que je vois régulièrement en boite. On papote et il finit par me déballer ce qu’il avait sur la patate depuis longtemps, apparemment. Il a trouvé « dégoûtant » de lire mon portrait dans Libération quelques semaines après la mort de Guillaume Dustan. Je le rassure, ce n’est pas moi qui ai décidé de la date de parution, l’article était prêt depuis deux mois. Ca ne change rien. Pour lui, je suis un « guerrier », quelqu’un qui n’a pas de cœur, un extrémiste. Je lui explique gentiment que c’est le risque de s’engager dans des questions politiques, il faut assumer d’avancer pour avoir le dernier mot, car c’est important. N’empêche, je m’enferme dans une logique étouffante, je n’écoute pas, je suis un ayatollah. Bon, il est minuit passé, je souris, il fallait bien que ça arrive, à chaque fois que je traverse le Marais, c’est comme ça. Rappelle-moi pourquoi je n’y mets plus les pieds, déjà ? Et à part ça ? Tu te rappelles pourquoi je m’affronte avec d’autres homosexuels ? C’est pas très important pour toi s’il y a des mecs qui se contaminent, hein ? Tu penses comme France Lert, interviewée dans Libé, qui pense que c’est la nouvelle sexualité des gays, qui anticipe le risque parce qu’elle n’est plus sensible aux campagnes de prévention ? Pour la sécurité routière, le lobby de l’automobile a longtemps considéré qu’il n’y avait pas grand chose à faire pour que les accidents diminuent. Maintenant, ce sont les chercheurs de l’Inserm qui enfoncent l’idée que si le risque est intégré à la sexualité des gays, plus rien ne pourra l’en déloger. Bravo, ceci nous offre de grandes perspectives de recherches.

Quelques jours auparavant, le président de Aides publie dans Le Monde une tribune qui entérine le concept selon lequel les prises de risque volontaires des gays sont motivées par un mal-être face au retard de la société sur le mariage gay et l’homoparentalité. On en a déjà parlé ici, de ce troc étrange, de cette vengeance compréhensible des homosexuels contre une société qui leur fait tellement de mal. Sur le site Internet du Monde, les réactions vont presque toutes dans le même sens. « C’est un peu une excuse facile, non ? » disent les internautes. Mais oui, c’est la dernière en date. Quelques jours plus tard, un débat à France Inter. Je finis par abattre une de mes dernières cartes. J’affirme que ce problème est bien sûr de l’ordre de la responsabilité face à la société, mais il est aussi du domaine de la vertu. Je vois dans le regard des personnes autour de la table une réaction étonnée face au sens du mot. Eh oui, cet échec de la prévention pose la question de la vertu, et ce n’est pas la peine de discourir pendant longtemps si c’est dans le sens de Kant ou d’Aristote. Si notre but dans la vie, c’est de se comporter comme des moutons face à un devoir, si on se fait traiter de guerrier parce que les autres ont juste envie de vivre tranquilles, c’est-à-dire sans jugement, si on se pose sans cesse en tant que victimes pour excuser ses erreurs, alors il est bien plus facile d’intégrer le risque dans son mode de vie. C’est franchement beaucoup plus simple et, comme c’est les vacances d’été, c’est même nécessaire. D’ailleurs, les vacances pourraient très bien durer jusqu’en 2007 puisqu’il faudra attendre les prochaines élections pour savoir si le mariage gay et l’homoparentalité seront acceptés par les futurs présidentiables. Et comme un long débat de société devrait suivre, cela donne au moins un an et demi de répit supplémentaire à ceux qui attendront le prochain Baromètre Gay pour savoir de quel côté les moutons de Panurge sont partis. Parce qu’ensuite, il faudra leur courir après.