Politique / Sida Le Journal du Sida Juillet 2007

Fait divers

CREDIT : Didier Lestrade
SUJET : Fait divers

J’ai une petite histoire à raconter. Une jeune journaliste à peine sortie de Sciences Po me contacte pour un sujet radio sur le bareback. Le week-end précédent, elle va courageusement à la Gay Pride pour chercher des infos. Au milieu d’un demi-million de personnes, elle s’adresse à des militants. Quand elle leur demande leur position sur le bareback, la quasi totalité répond, avec de grands yeux : « Le quoi ? ». Au début, elle pense qu’elle ne se fait pas comprendre à cause des décibels. Elle mentionne alors ses recherches sur le principal site de bareback, mais rentre chez elle bredouille, dubitative.

Un mois auparavant, au début de l’été, on a appris qu’un groupe d’amis homosexuels hollandais avaient volontairement contaminé leurs partenaires occasionnels. La surenchère dans cette affaire qui fait la une de tous les journaux d’Amsterdam, ce sont les détails abjects. Ces hommes revendiquaient fièrement le plaisir physique et émotif tiré de leur machination. Leur théorie était limpide : plus il y a aura de séropos et moins les gays auront à rester fidèles à la capote. Une forme d’activisme volontariste dans l’espoir d’un sérotriage généralisé puisque si tout les gays font une séroconversion, le préservatif sera en effet superflu (pas la peine de les paniquer sur l’hépatice C, ils n’écoutent pas beaucoup). Peut-être plus qu’une dizaine d’hommes auraient été ainsi atteints. Ce qui rend cette affaire exemplaire à travers son cynisme sexuel militant, c’est aussi l’influence médicale exercée par un des prévenus. Infirmier, il a facilité l’horreur du scénario : les victimes, droguées sous GHB, violées pendant leur coma, étaient injectées d’un mélange équilibré du sang provenant des différents criminels. Comme s’il fallait s’assurer de la contamination complètement, sans nul doute. Le ministre de la santé hollandais ne s’est pas gêné pour manifester son dégoût de ces pratiques dignes d’un « Hannibal » en version non censurée.

En France, les médias gays ont, pour l’instant, survolé le cas. Certains journalistes ont même tenté de ne pas relayer l’info, argumentant que ce n’était qu’un « fait divers ». Mais comme l’AFP a rapidement émis une dépêche qui a été reprise, sans trop la développer, c’est intéressant, par les principaux quotidiens, il a bien fallu suivre le mouvement. Ma réaction est toujours la même, après toutes ces années. Quand on voit avec la régularité – quotidienne – avec laquelle les newsletters gays abordent les autres « faits divers » illustrant l’homophobie de la société, comment expliquer le silence général des associations LGBT ou de lutte contre le sida ? Pas une pour offrir son point de vue, sa grille de lecture comme on dit, sur un cas extrême d’homophobie internalisée puisqu’il s’agit quand même d’homosexuels maltraitant gravement d’autres homosexuels, par les grands moyens. Parler de ces crimes équivaudrait-il à revenir sur le sujet de la criminalisation de la contamination ? La politique de réduction des risques du nouveau président de Aides serait-elle fragilisée ? L’exemplarité de la communauté se trouverait-elle amoindrie ? Ou pourrait-on enfin aborder les questions vitales de responsabilité collective, éthique et politique, ce que a toujours été notre fonction ? Maxime Journiac et moi-même sommes-nous les seuls à réagir à ces histoires ? Savez- vous que de plus en plus de gays témoins deviennent tellement en colère qu’ils développent des idées selon lesquelles les gays séropos qui perpétuent de telles actions devraient être condamnés à payer eux-mêmes leurs antirétroviraux ? Et si ces mots vous importunent, encore et encore, pourquoi ne pas lancer une pétition pour l’arrêt de cette chronique qui se trouve bien seule dans le paysage militant dont le but fidèle est de mettre du poil à gratter dans nos pensées et actions ? N’est-ce pas là le vrai militantisme ? Je me demande si cette manière de tuer dans l’œuf tout débat sera au goût de la nouvelle administration judiciaire de notre pays… Après tout, une volontaire émérite d’une grande association ne s’est pas gênée pour m’envoyer le mail le plus menaçant de ma vie de journaliste, où elle me promettait que « je valserais un jour » », voulant dire par là que cette chronique finirait bien par disparaître, avec ou sans son concours. L’avantage des mails, c’est que ça se garde. L’avantage des chroniques qui durent depuis quatorze ans, c’est qu’on peut les rassembler dans un livre. Et mon petit doigt me dit que cela ne saurait garder. Pour rappeler la phrase du film de George Clooney : « Good night– and good luck »…