Politique / Sida Le Journal du Sida Mai 2005

Septième ligne

Deuxième semaine sous une nouvelle multithérapie. Depuis treize ans, je dois en être à ma septième ligne d’antirétroviraux. C’est toujours quelque chose d’unique, lorsqu’on débute un nouveau traitement. Le souvenir des autres combinaisons réapparaît, on se rappelle très bien comment le corps répond à une nouvelle agression chimique. C’est une réaction presque instantanée, du jour au lendemain, on n’est plus pareil. Avec l’expérience, je me sens moins inquiet, je me surveille, mais je me dis que je suis déjà passé par là. On apprend à mémoriser un nouveau nombre de pilules, l’ordonnance reste sur la table. Le camaïeu de couleur a changé. Et ce qui est vraiment étrange, c’est que la documentation scientifique, ou les avis des amis qui prennent le même traitement, tout ce mélange d’informations se confirme. Je vais sûrement être critiqué par ceux qui préfèreraient que l’on se plaigne sans cesse des effets secondaires des antirétroviraux mais, pour l’instant, tout se passe bien. Ma combinaison de Reyataz, Ziagen, Viread, Ritonavir semble bien tolérée. Je me sens peut-être un peu fatigué, mais cette fatigue est plus ancienne. Elle date du passage à l’heure d’été, je crois avoir perdu une heure de sommeil à ce moment. Et il y a toujours ce pinson, devant la fenêtre de ma chambre, qui chante dès cinq heures du matin. Très fort. En plus, je travaille sans cesse dans le jardin et ce que je fais exige beaucoup d’efforts, ce sont des brouettes et des brouettes de terre et de pierre que je transporte. Si j’étais vraiment épuisé, je n’y arriverais tout simplement pas. Surtout, ce qui est incroyable, c’est la disparition, du jour au lendemain, des diarrhées.

J’ai vécu les cinq dernières années avec cette inquiétude, quotidienne. Dès le lendemain du Reyataz, ces diarrhées ont disparu. Alors je sais ce qu’on va me dire : tu parles comme une publicité vivante du produit. Aux Etats-Unis, le laboratoire Gilead a choqué le milieu associatif sida avec des pleines pages de publicité dans lesquelles étaient insérées une petite pastille électronique qui disait : « Nous sommes à la plage ! ». Vous imaginez ce que cela coûte de publier une pub dans la presse qui parle. Oui, le labo a raison, je peux aller désormais à la plage sans avoir peur. Pourtant, il aurait suffi de le dire sans avoir recours à une pub si onéreuse, le message serait passé et les observateurs n’auraient pas eu à critiquer un mode de communication obscène, quand on pense à l’argent qui est toujours nécessaire dans cette maladie. Mais le point final est que ce médicament passe beaucoup plus facilement que les précédents. Et tout ceci fait partie des soulagements et des doutes qui accompagnent ces nouveaux antirétroviraux mieux tolérés. Nous en avons tellement bavé avec les précédents qu’on en vient à se demander si l’efficacité d’un produit n’est pas liée à la souffrance qu’il procure. C’est pavlovien. Si ces nouveaux produits sont si faciles à prendre, il est clair que cela contribue à la moindre peur que suscite le sida. Ce que nous gagnons d’un côté, nous le perdons d’un autre. Je n’avais pas réellement besoin de changer de traitement, le précédent était efficace sur les CD4 et ma charge virale. Je voulais changer parce que je voulais voir ce que pouvait représenter une vie sans diarrhées et surtout parce que sentais bien que j’avais besoin de me motiver à nouveau. J’en avais marre de prendre ma trithérapie. La répétition, l’ennui, l’envie d’oublier. Dans les minutes qui suivaient la prise de mon traitement précédent, mon ventre commençait à enfler, à remuer, c’est comme si une vie interne était sur le point d’exploser. Et elle explosait très souvent, d’ailleurs. Par exemple, il m’était impossible d’espérer dormir sur le ventre. Je sais qu’en prenant des nouvelles pilules, je me remets dans une nouvelle période d’observance et d’attention. Je produis un nouvel effort. Mais, pour la première fois, je me sens récompensé par une meilleure tolérance. Espérons que je ne vais pas devenir jaune, puisque c’est le principal défaut du Reyataz.