Politique / Sida Le Journal du Sida Mai 2009

Séropo, version light

Les derniers chiffres de l’épidémie en Angleterre sont très révélateurs de ce qui se murmure en France. La presse anglaise commence à faire des gros titres sur le nombre record de nouvelles contaminations, soit 7734 pour l’année 2007. C’est la première fois que ces chiffres dépassent les estimations françaises. Comme partout ailleurs, les groupes les plus affectés par cette remontée de l’épidémie sont les gays et les immigrants provenant de l’Afrique sub-saharienne. Sur 10 nouvelles contaminations, 4 ont pour origine des relations entre hommes. Avec une estimation de 77.000 personnes séropositives, dont un quart ne sait pas qu’elle vit avec le VIH, l’Angleterre est en train de devenir le test grandeur nature d’une politique de prévention qui échoue. En 2007, les jeunes de 16 à 24 ans ont représenté presque la moitié des 400.000 cas d’IST dans ce pays. Une séroconversion sur 10 concerne cette tranche d’âge. Les médias anglais parlent souvent de l’agitation sexuelle des ados dans toutes les couches de la population. Pour la première fois, ces derniers sont en train de développer une frénésie de la performance qui était, jusqu’alors, un peu réservée aux gays. On parle de partouzes organisées via portable par les ados après les cours, ayant lieu dans les résidences familiales avant que le retour des parents à la maison. Chez les homosexuels, le VIH a bénéficié pendant longtemps d’une incidence assez basse en Angleterre et les gays ont finalement décidé qu’à force d’entendre parler du sida sans vraiment le voir, il était temps de s’amuser pour de bon, je veux dire : sans capote. De fait, les Anglais et les Allemands ont un train d’avance sur les stratégies de réduction des risques. Cela fait presque deux ans que l’on leur dit à l’oreille ce que le Conseil National du Sida a récemment entériné. Et si un traitement efficace rend les séropositifs moins contaminants, les implications sous-jacentes de ce nouveau paradigme sont très faciles à comprendre. Tous les gays qui vont à Berlin vous le disent : il est désormais assez difficile d’avoir un plan sexe avec un Berlinois ET une capote.

Les Anglais voient donc une épidémie progresser de tous les côtés, avec des IST qui flambent, et un milieu associatif qui admet à voix basse que c’est comme ça, c’est normal. Traduction : ça pourrait être bien pire. Les personnes séropositives sont moins contaminantes quand elles suivent un traitement efficace, mais il reste malgré tout des dizaines de milliers de personnes séropositives sans le savoir. Il y en a d’autres, assez nombreuses aussi, dont on parle moins, qui ne veulent pas suivre de traitement, tout en prenant des risques sexuels. Ce noyau reste très actif, dans un environnement où le message le plus facile à comprendre, par tous, sera désormais : avec les nouveaux traitements, on n’a pas besoin de capote. Tout le monde trouvera très agréable d’adopter ce qu’il veut dans les recommandations du CNS qui, finalement, plaisent à tout le monde. Mettez ça en perspective avec la commercialisation de la pilule unique, Atripla. Avec les études qui suggèrent que deux IP non boostées feront aussi bien qu’une multithérapie. Avec la capote qui disparaît. Tout contribue à une gestion light de la séropositivité. Qui voudrait bouder ce plaisir ? C’est presque cool de devenir séropo. Quelle joie de voir son traitement réduit au plus simple appareil ! Cette version allégée de la séropositivité aura forcément des conséquences sur les croyances liées à la contamination. Qui les anticipe ? Dans les mois à venir, les associations et les médecins auront à répondre aux questions des nouveaux séropositifs qui auront raison de demander : « Mais je croyais que je ne risquais rien sans capote ? ». « On est dans un pays où la majorité des personnes séropositives ont une charge virale indétectable ou pas ? ». Grande déception pour ceux qui auront écouté les associations qui crient victoire face à un message si subtil à faire communiquer. Nous sommes passés de « la capote, bien sûr » à « la capote, peut-être ». Je ne suis pas sûr que ça va faciliter les négociations sexuelles.