Politique / Sida Le Journal du Sida Mars 2007

At last

Plus de deux mois avec une relation sentimentale qui se développe et qui se construit après chaque rencontre. Inconsciemment, j’aditionne les nuits parfaites ou le sommeil reste léger parce qu’il faut s’habituer, à nouveau, à tenir quelqu’un dans ses bras. La sexualité et les caresses rappellent d’autres histoires d’amour passées qui commencaient à s’évanouir dans ma mémoire. Cette histoire d’amour en réveille d’autres et je peux les sentir avec plus de recul puisque mon quarante neuvième anniversaire approche. Je savais bien que je tomberais amoureux un jour, enfin, mais je dois admettre que je ne pensais pas que cet événement surviendrait si tôt. Je m’étais préparé à attendre encore davantage et je me disais meme qu’à ce stade de solitude, plusieurs années suplémentaires seraient peut-être nécessaires pour retrouver le fil du sentiment. Les séropositifs accusent souvent cette mise à l’écart de l’affection comme un des effets secondaires de leur condition. Nous savons tous que certains considèrent la passion comme une manifestation qui leur est presque refusée, voire interdite. Ils pensent parfois que le fait de rester en vie et d’avoir retrouvé la santé est déjà un énorme avantage qui permet de réaliser beaucoup de choses. Ils parviennent à se convaincre que c’est le statut de séropositif qui les écarte de l’amour et certains soutiennent avec conviction qu’il est naïf de persévérer. La proximité leur semble alors impossible.

Pourtant, soudain, elle réapparaît. Le cœur se met à battre d’une autre manière. Il va falloir faire face et assurer. Et je tombe sur quelqu’un qui a la moitié de mon âge, qui veut apprendre parce que personne n’a vraiment pris la peine de lui parler de certaines choses pas forcément compliquées, d’ailleurs. Tomber amoureux est déjà beau, mais tomber amoureux d’une autre génération, c’est une expérience dans le vrai sens du mot. Des pans entiers de la culture demandent à être échangés. La musique, les livres, le cinéma. Ce n’est pas moi qui dis : « Je te passe ce livre, tu devrais le lire », c’est lui. Ce n’est pas moi qui peine à raccrocher le téléphone, c’est lui. Désomais, je passe des journées au lit, en plein hiver, dans un immeuble en face du Père Lachaise, un quartier ou je m’étais juré de ne plus mettre les pieds. Retrouver une sexualité si près d’un endroit maudit, j’y ai trouvé matière à ironie et autodérision dès les premier jour. Il y avait un défi dans l’air. C’était lui contre mes souvenirs et quelque chose me disait que ces derniers ne parviendraient pas à m’écarter d’un plaisir franc et simple que j’attendais depuis longtemps. Je voulais et j’espérais rencontrer un homme jeune qui n’aurait pas été affecté directement par la maladie apparue au moment de sa naissance. Cet appartement dans lequel je le retrouve est totalement préservé du sida et d’une certaine forme d’homosexualité qui me révulse désormais. C’est pourquoi j’ai décidé d’avancer lentement afin que la confrontation soit la plus douce possible. Un ami américain m’a dit : « Don’t fuck up ». Ne fais pas de conneries. Je sais. Il m’aide, donc je l’aide. Ces baisers-là n’ont pas de prix. Ils sont difficiles à trouver dans le monde normal. Ils sont excitants, passionnés. Ils formulent des compliments que je ne pensais plus entendre. Cette sexualité est belle parce qu’elle est facile. Mes mains caressent doucement, parfois pendant des heures, jour ou nuit. On peut me critiquer sur de nombreux points, mais je ne suis pas connu pour mes vantardises sexuelles. Si je le dis, si j’ose l’écrire, c’est que c’est vrai et je ne force pas le trait pour me donner un rôle particulièrement avantageux. La chance a enfin tendu la main vers moi, c’est tout. Un homme de vingt-cinq ans me sourit. Il m’attend. Pour me faire plaisir, il laisse pousser sa barbe. Pour le faire réver, je lui propose le nom de deux ou trois villes du monde qui ont le don d’exciter l’imagination des jeunes. Ses amis se demandent ce qu’il fait avec un homme de mon âge, séropo en plus. Ses parents ont presque peur. Il ne sait quoi leur répondre, si ce n’est qu’il est heureux et qu’il rattrape le temps perdu. Nous sommes tous les deux à rattraper ce temps et je m’éforce de lui expliquer, sans lui prendre la tête, que ces annèes n’étaient pas forcément perdues : elles nous ont jeté l’un contre l’autre, contre toute attente. Contre tous les préjugès et mythes qui nous entourent. « At Last » chante Jimmy Scott.