Politique / Sida Le Journal du Sida Mai 2004

Amis

Depuis que mon livre est sorti, je reçois pas mal de mails. Je ne dis pas ça pour faire le prétentieux, d’ailleurs les gens passent assez vite sur le fait que le livre les a intéressé, ce qui motive leur écriture, c’est qu’ils se mettent tout de suite à me raconter des choses intimes sur leur vie. Des confidences qu’on garde en général pour le psy ou pour les amis intimes, car toutes ces histoires ont un rapport avec leur vie sexuelle ou amoureuse. Ces personnes sont souvent désemparées, elles vivent une difficulté réelle pour rester fidèles à leurs convictions en restant safe. Ils subissent cette pression qui les entoure qui consiste à les encourager à prendre des risques. Ils s’en offusquent, mais ils ne savent pas comment exprimer leur désarroi. Par exemple, la semaine dernière, en l’espace de 24 heures, trois homosexuels séronégatifs m’ont écrit pour me dire qu’ils avaient décidé de s’en tenir désormais à l’abstinence. Face aux rumeurs sur les nouvelles contaminations et les chiffres assez connus sur les IST, ces hommes ont choisi de mettre en parenthèse leur vie sexuelle. Au début, je me suis dit que si je recevais trois mails identiques sur une période si courte, c’était juste un effet de la loi des séries. Et puis, il fut soudain évident que ces hommes me disaient la même chose alors que leurs profils étaient bien différents. Le premier avait 22 ans, vivant à Paris, un peu déprimé mais assez drôle dans sa façon d’écrire car il beaucoup d’humour. Il me disait que la vie à Paris lui semblait si dure depuis quelque temps qu’il ne pouvait plus continuer de rencontrer des homosexuels qui lui faisaient peur. Le deuxième avait 30 ans, totalement à l’aise dans le milieu gay. Pour des raisons de santé, il avait été transfusé entre 1979 et 1985, il était passé par miracle à travers le sang contaminé. Plus récemment, il avait traversé une période de relapse répété et il avait pris beaucoup de risques. Lors de son dernier dépistage, il a réalisé qu’il était parvenu à échapper au sida par deux fois et qu’il fallait qu’il se ressaisisse. Le troisième a 33 ans, il a pris conscience assez récemment qu’il était gay et il se trouve dans une situation difficile : il peut enfin vivre sa vraie vie, mais sa peur du VIH est telle qu’il est terrorisé à l’idée d’avoir des relations sexuelles.

On peut croire que je suis un homme moralisateur, mais il m’est impossible de dire à ces hommes qu’ils ont fait le bon choix. Dans le sida, on commence à savoir que les personnes qui choisissent l’abstinence ne se doutent pas à quel point il est difficile de s’y tenir, surtout dans le monde dans lequel nous vivons. Les tentations sont immenses, surtout à 22, 30 ou 33 ans. Je leur ai donc dit que je comprenais leur situation mais qu’il me semblait un peu fou d’oublier que des millions de gays sont parvenu à se protéger, depuis plus de 20 ans, avec des conseils de prévention simples. La capote pour toute pénétration. Pas de contact entre le sperme et les muqueuses ou la bouche. Et c’est là mon point : à force de ne pas répéter ce message, à force de perturber ce message avec d’autres messages associatifs qui sèment la confusion, les homosexuels oublient ce qui doit être su. S’ils sont désemparés, c’est qu’ils ne savent plus ce qu’il faut croire. La peur est palpable. Il est vraiment temps que les associations prennent toute la mesure de ce nouveau tournant de l’épidémie. Si nous avons réussi à créer un front commun pour obtenir les multithérapies, pourquoi ne peut-on pas faire de même pour la prévention ? Comment ne pas travailler sur le mode du consensus sur un sujet qui touche tout le monde ? A quoi servira le mariage gay si les homosexuels ont si peur des autres homosexuels ? Ou est le sens de la priorité ?