Politique / Sida Le Journal du Sida Mai 2006

En aucune manière

« Il faut aussi souligner que la connaissance de son infection par le VIH n’implique en aucune manière de comprendre ou d’en accepter les conséquences. Dès lors, certains malades ne prennent pas toutes les précautions nécessaires pour protéger leurs partenaires ou à l’opposé, ils s’interdisent toute vie sexuelle, par peur de contaminer autrui ». Ces deux phrases, tirées du communiqué de presse du Conseil National du Sida sur la pénalisation de la transmission du VIH, nous ramènent à des clichés qui datent du début de l’épidémie. A force de célébrer le 25ème anniversaire de cette maladie, certains voudraient nous faire croire, encore et encore, que les principes initiaux sont immuables. Pourquoi se torturer dans l’exemplarité puisque le CNS nous dit que le fait de se savoir séropo n’engage « en aucune manière » d’accepter son statut ? Ce pays ne va pas très bien et dans le petit milieu du sida, les institutions ne se montrent pas plus brillantes qu’ailleurs.

Dans tous ces aspects, cet avis illustre les limites d’une structure dont les membres les plus importants sont souvent nommés par le chef de l’Etat, et qui fonctionne avec mépris et surtout inefficacité. Qu’importe si le CNS ne fait pas grand-chose contre le sida, j’ai assisté à assez de réunions dans ses bureaux, pendant des années, pour savoir qu’il y règne un calme qui frise souvent la somnolence. Qu’importe si les experts qui se penchent sur des polémiques très conflictuelles comme la remontée de l’épidémie chez les gays ou le test rapide du VIH ne soient souvent pas très au courant de ces sujets – ou ne lisent pas toujours les rapports qui sont sensés être écrits par eux. Qu’importe si tout ceci ne se fait pas sans un certain train de vie, le loyer du CNS et les frais de fonctionnement ne doivent pas être négligeables. Qu’importe si l’avis du CNS est rendu public au pire moment, au cœur de l’affaire Clearstream, assurant à l’avance sa mise à l’écart de toute répercussion médiatique. Si on voulait étouffer cet avis, et le débat qui l’accompagne, on ne ferait pas mieux. Il aurait été si simple de créer une synergie avec un autre événement sida comme la manif de Solidarité Sida, les journées du Sidaction ou même la Gay Pride. Mais non, Clearstream fera parfaitement l’affaire. Qu’importe si le communiqué de presse n’adresse pas un mot affectif envers ces femmes séropositives qui ont été à l’initiative d’une importante question de société. Pour le CNS, leur attente n’est pas valable, elle ne se pose pas puisqu’elle ne mérite pas de réponse autre que des propositions toutes faites et d’ailleurs au point mort comme des programmes efficaces de prévention dans les lycées. Le CNS garantit que le temps restera figé, malgré la dynamique de l’épidémie, les connaissances actuelles, l’idée de responsabilité qui évolue, les débats du CRIPS et l’attente des médias, sans oublier les procédures légales qui ne manqueront pas d’apparaître, que le CNS le veuille ou non. Il y a dans ce pays des dizaines de femmes contaminées qui ont déposé des plaintes contre leurs maris ou leurs compagnons et ces procédures semblent étrangement ralenties, ce qui doit soulager les membres du CNS. Cela ne sert à rien d’auditionner des dizaines de personnes ou d’associations pour flatter leur ego ou pour faire croire qu’on les écoute, qu’on les comprend. L’avis était déjà bouclé avant même d’ouvrir le dossier. Je ne doute pas qu’une majorité d’associations aient manifesté une crainte de voir ces procédures juridiques se multiplier. Mais elles sont bien silencieuses face au verdict du CNS, comme si ce dernier dépassait même leur immobilisme. Elles se sont battues pour se faire entendre, elles sont muettes aujourd’hui. Même une partie du milieu médical est effaré par la nullité de ce rapport.

La fonction du CNS, seule institution du sida à posséder un mot final en matière d’éthique, est de refléter des expressions aussi multiples que possible. En moins de deux ans, le CNS aura rendu des avis qui privilégient tous le statu quo, la gangrène associative. Cette institution pourrait être un moteur. Mais le seul moteur qui semble fonctionner, dans ses murs, semble être le tout petit dispositif qui fait couler le café dans la cuisine du CNS.