Politique / Sida Le Journal du Sida Mai 2008

Confrontation

Il y a quelques jours, j’ai passé une soirée à regarder le documentaire de IAM sur Canal, puis leur concert en Egypte. En ce moment, il y a des anniversaires partout : les 20 ans de ceci, de cela, c’est impossible de ne pas rebondir sur les 25 ans du sida. Le temps passe décidément trop vite et IAM a donné un titre symbolique à leur documentaire : « Encore un printemps », comme quand on soupire de soulagement à la vue du renouveau de la nature. Eux aussi arrivent à ce moment de leurs vies où la répétition du cycle de la vie prend des dimensions mystérieuses que l’on accueille avec une joie tintée d’incrédulité : même pas mort ? En voyant les membres du groupe parler de musique, de politique ou de philosophie, j’ai eu plusieurs fois envie de sauter dans ma télé pour les embrasser et les remercier d’exister. Parfois, je sentais des larmes sur le point d’apparaître quand ils écoutaient avec émerveillement les 70 musiciens du grand Orchestre National et Populaire du Caire. C’est cet esprit de la Méditerranée, plus intelligent, plus profond, qui célèbre un besoin communautaire malgré l’aveu des rêves détruits et l’étrange lenteur de la société face à des demandes politiques très précises. Il y a 20 ans, IAM formulait les mêmes questions, et ça n’a pas changé. Cela fait plusieurs années que je me dis qu’il suffirait de prendre mon téléphone pour interviewer ce groupe afin de créer un pont qui n’existe pas officiellement entre cette communauté gay et sida et ces Marseillais. Quand je vois la jeune génération de cette ville, comme Soprano, je me dis qu’il faut leur parler. Mais les supports médiatiques manquent désormais pour donner la place à ce type d’article qui ressemblerait plutôt à une déclaration ou à la signature d’un contrat.

Je suis obligé de reconnaître que je ressens plus d’affinité et de tendresse pour des groupes comme IAM que pour les jeunes générations LGBT avec qui il est si difficile de discuter. Un récent débat à Lyon me l’a bien rappelé : le fossé des générations n’est pas ce qui est le plus insurmontable, c’est celui de l’identité. Pour les jeunes désormais, l’identité, c’est tout. Du coup, les discussions ne volent pas bien haut. Le moindre mot est sujet à conflit. On ne peut pas parler des Arabes si on n’est pas Arabe, on ne peut pas parler des Juifs si on n’est pas Juif, on ne peut (surtout pas) parler des trans si on n’est pas trans. Dans leur domaine, des artistes comme IAM se sont battus pour dépasser ces idées séparatistes et les combattre au sein même de leur groupe et de leur public. Rien détonnant si je les trouve plus crédibles et si la communication entre nous s’installe naturellement. Ce n’est pas uniquement une question d‘âge, bien que nous ayons en commun d’avoir dépassé une position victimaire qui débouche sur un comportement passif / agressif systématique chez les militants LGBT d’aujourd’hui. Franchement, le problème ne se situe plus au niveau du relais de l’histoire et dans la nécessité de raconter aux jeunes générations ce qui s’est passé il y a vingt ans autour de l’histoire du sida. Les jeunes en ont marre d’entendre cette histoire. Mieux : ils détestent ça. Et parfois, j’ai l’impression qu’ils nous détestent, physiquement, en tant que personnes, parce que nous avons connu la mort, exactement comme les générations qui ont suivi la deuxième guerre mondiale ne supportaient plus l’idée des commémorations. Nous avons participé à un moment très puissant du militantisme, où tout était prestigieux : la plus grande maladie de son temps, le plus grand défi, un combat finalement à la pointe de la modernité. Vingt ans après, ça les dégoûte.

Dans leurs yeux, le mépris.