Politique / Sida Le Journal du Sida Juin 2007

Cul de sac

L’élection présidentielle a tendu les esprits. Pendant de longues semaines, les gens étaient irritables, leurs nerfs à vif - passionnés aussi. On s’est souvent mis en colère devant le téléviseur. Tout le reste a été mis entre parenthèses, certains problèmes personnels, le travail, le reste du monde. Parfois, au contraire, la campagne électorale donnait à ces difficultés plus de relief. Des amis étrangers m’ont dit que la tension était palpable à Paris, et elle l’était. La bataille politique n’a pas été aussi sanglante que je l’imaginais, mais le pays entier s’est affronté, parfois même dans les familles. Les médias ont engrangé des recettes exceptionnelles. J’ai fini par voter pour Ségolène Royal au second tour, contrairement à ma résolution, parce que je dois sûrement être un indécrottable socialiste et j’ai adoré le débat télévisé. Ce que le pays a vu comme une agressivité m’a rappelé les beaux jours d’Act Up, quand il fallait attaquer dès les premières minutes d’un rendez-vous. Quand ce n’était pas encore fait avec trop d’évidence, quand un élément de surprise était nécessaire pour déstabiliser l’opposant. L’agressivité est plutôt belle quand elle s’accompagne d’une utopie entraînante, mais cela n’a pas été compris. On voit bien que l’adhésion politique a été motivée par la peur. À gauche, dans des réunions internes, certains entendent des leaders comme Clémentine Autain dire désormais que la gauche doit sortir de l’unique préservation des droits, qu’il faut insuffler quelque chose de plus grand, sans mentir.

J’y vois un parallèle chez une grande partie du militantisme qui nous concerne. C’est parce que nous nous focalisons trop sur nos droits historiques que nous redoutons de bouleverser un équilibre de façade qui ne tient plus de toute manière. Récemment, dans un magazine culturel, je disais qu’il fallait tout changer, tout casser. Des lecteurs se sont insurgés contre cette envie de basculement primaire. On pourrait penser que cette destruction massive n’a pas grand-chose à voir avec l’idée de protection, si importante pour moi. Mais une meilleure protection, mieux adaptée aux risques modernes, exige de démolir ce qui n’est plus solide, pour construire du neuf et de l’efficacité. Cette idée n’est pas de gauche ou de droite, elle appartient au concept de la réforme. Et si je me suis résolu, sans rechigner, à voter pour Royal en raison de son éloquence, je ne crois pourtant pas qu’il soit possible de promettre que la réforme profonde se mène doucement, sans conflit. Personnellement, je n’ai jamais vu ça dans mon expérience militante. La peur ne se combat pas en rassurant, mais en attaquant frontalement ce qui la motive car c’est cette peur qui interdit le changement. Il faut bousculer les gens, faire de l’adversité une qualité au lieu de s’adresser à une nation comme si elle était liée par une multitude de handicaps. Et dans le milieu politique gay, qui est le mien, je constate un étrange paradoxe. La gauche, qui promet le mariage gay et l’homoparentalité, reste incroyablement coincée sur l ‘idée d’identité minoritaire. Ce sont ces incohérences qui nourrissent le doute et qui cristallisent les tensions. Finalement, plusieurs années seront nécessaires pour que la gauche se modernise, entraînant avec elle le tissu social associatif auquel nous appartenons, car il est évident que cette vie associative nourrit moins le moteur de la remise en question. Les personnes les plus courageuses du tissu sida aujourd’hui, c’est quand même étrange, travaillent dans des institutions publiques ou semi-publiques comme le Crips. Et parmi ces militants, peu sont homosexuels. C’est bien la preuve d’un dépassement idéologique, marqué par le pragmatisme. Dans ces élections, ceux qui ont le plus perdu sont assurément ceux qui espéraient accéder, à travers l’élection de Ségolène Royal, à des postes de décision. Toute une génération se croyait sur le point de pénétrer dans les ministères et les institutions. Ils ont passé les quinze dernières années à prendre leur badge de visiteur dans ces forteresses. L’échec actuel est aussi le leur.

Une génération se voit bloquée et il est à prévoir que l’alternance future fera appel à la génération des trente ans qui est déjà celle qui dirige les sujets sociaux en Allemagne, en Grande Bretagne ou en Espagne. Les quarantenaires du sida seront sûrement écartés pour un sang plus neuf qui ne traîne pas de casseroles gênantes. Ceux qui ont manqué de courage payent aujourd’hui leur mutisme, leur résignation, leurs calculs finalement mal ajustés.