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Résumé : Didier Lestrade n’y va pas par quatre chemins : il adore le porno ! Il aime la représentation du corps des hommes et des sexes qu’il fige sur l’écran de son ordinateur. A travers son histoire personnelle et une homosexualité très vite assumée puis revendiquée, il livre une expertise impressionnante et inédite du monde de la pornographie, lequel en dit long sur nos pratiques sexuelles et celles de nos enfants.

Critique : Le porno est partout, au même titre que la musique. Il « illustre et modifie nos désirs. Il les anticipe et les développe. […] Dans la grande discussion politique sur le porno, son influence sur les jeunes et la sexualité des femmes imposée par les hommes, son impact sur les applications de rencontre, le porno est vu comme un danger pour la société. » Le décor est planté.
S’il se défend de vouloir remonter le temps, Didier Lestrade se souvient de l’adolescent qu’il était, parcourant Paris à la recherche d’images pornographiques, rares et chères, jusqu’au Dragon Club Vidéo Gay, le seul cinéma homo de la capitale à la fin des années 1970. L’auteur écrit : « Le porno a sauvé ma vie. Pendant toutes ces années de solitude et de terreur à cause du sida, le porno m’a permis d’avoir accès à une sexualité par procuration. »
L’ouvrage est une balade ludique parmi ses souvenirs et de nombreux films tels ceux peuplés de jeunes hommes musclés très en vogue depuis le succès de Boys in the Sand ("Wakefield Poole", 1971). En France, comme presque partout en Europe, le porno s’invite soudainement dans les salles de cinéma, même si l’exploitation de films ouvertement gays reste encore confidentielle. Pourtant, après des mois de laisser-aller, la loi du 30 décembre 1975 étouffe le cinéma pornographique, incitant les investisseurs à explorer de nouveaux marchés tel celui de la vidéo, lequel va permettre aux éditeurs de se structurer et de prospérer avec l’arrivée de la VHS, puis du DVD. Une opportunité pour le porno gay qui va rapidement faire fructifier sa singularité.
Alors qu’il aurait pu se perdre dans la confection d’un énième catalogue des pratiques sexuelles sans grand intérêt, l’auteur analyse presque scientifiquement la transformation des contenus pornographiques avec celles de la société. On apprend ainsi que le sado-masochisme est perçu comme « un genre qui radicalise le sexe protégé » durant les années 1990 (puisque la pénétration n’y est pas systématique), ou encore que le sexe sans préservatif (bareback) est devenu l’étendard de « la prise de risque revendiquée comme acte de rébellion » à partir de 1998, avec l’apparition des trithérapies.
Sans jamais occulter le côté sombre d’une industrie qui génère chaque année des sommes astronomiques – l’auteur parle de 97 milliards de dollars ! –, notamment depuis la banalisation d’Internet, Didier Lestrade explore, avec le recul nécessaire de son expérience, toutes les facettes d’un monde pornographique qui n’a plus rien d’underground tant il est présent dans la vie quotidienne des jeunes générations. S’il n’a pas la prétention de tout savoir sur la pornographie, de tout dire sur l’influence qu’elle peut avoir sur les comportements – catharsis ou addiction –, il nous donne librement son opinion, sans jugement ni parti pris, s’arrête à plusieurs reprises sur le constat social qu’elle nous offre – le passage sur le communautarisme pornographique est éloquent, celui sur le développement du porno ethnique et interracial surprenant, comme celui sur la représentation des sexualités dans les séries Netflix –, et revient sur certaines dérives comme la violence ou la prise de drogue.
Cet essai intimiste sans concession évoque un phénomène omniprésent et amplifié depuis l’avènement des réseaux sociaux. Une mention spéciale pour la couverture très réussie de Geneviève Gauckler, dont le talent de graphiste a fait des merveilles.

Laurence Juan

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