Porno Grunts

de Chris Ward et Ben Leon (Raging Stallion, 2008)

La vie militaire n’est pas un thème délaissé du porno américain. Le treillis est un des clichés des décorateurs sans imagination et certains réalisateurs comme Dirk Yates se sont fait une spécialité de la branlette de vrais marines, avec des dizaines de DVDs produits. Pour renouveler un genre, il suffit parfois de le faire exploser en lui consacrant un budget pharaonique. C’est l’exploit réalisé par les studios Raging Stallion avec le coffret de 6 DVDs de « Grunts », un film qui pulvérise les superlatifs. Doté d’un budget d’un quart de million de dollars, 22 acteurs, 40 scènes, 16 heures de film, 10 heures de bonus, trois semaines de tournage et huit semaines de montage, « Grunts » raflera sûrement une grande partie des prix décernés aux GayVN Awards, la plus importante cérémonie du marché porno américain. C’est bien simple, le film est nominé 27 fois, un chiffre sans précédent dans l’histoire de cette industrie.

« Grunts » n’est donc pas seulement un film porno, c’est un délire fétichiste pour obsédés de l’armée. Pas la peine ici de tenter une critique politique prenant en considération l’occupation américaine de l’Irak, les sept pages de texte très serré du dossier de presse de Raging ne parlent que d’entraînement masochiste dans la poussière, des coercitions, menaces, intimidations et récompenses qui transforment un homme normal en machine à tuer. Avec l’aide du nitrate hypostatique, une mystérieuse substance sûrement très recherchée ayant le pouvoir de transformer les hétéros en pédés. Whatever. En choisissant un cadre militaire, les réalisateurs Chris Ward et Ben Leon poussent un peu plus loin la prouesse de leurs précédents films épiques, « Arabesque » et « Lords of the Jungle ». Le line-up est rempli de mecs poilus et énormes : Jake Deckard, Rafael Alencar, Roman Ragazzi, Max Schulter, Ricky Sinz, Trey Casteel, sans oublier l’énorme bite d’Antonio Biaggi. Steve Cruz et Orlando Toro font office de jumeaux convaincants (un peu comme Damien Crosse et Victor Banda chez Titan). Le coffret consiste en trois films : « The New Recruits », « Brothers in Arms » et « Misconduct ». Les 3 DVDs en bonus offrent des séances solos des acteurs, des interviews, des visites guidées du set, tous les exercices physiques imaginables et même une scène hétéro avec Brodie Sinclair.

Il y a malgré tout quelques critiques à faire : toujours pas de compilation des orgasmes (c’était pourtant mérité), peu d’éjaculations filmées sous plusieurs angles et surtout cette fâcheuse tendance à les montrer en plan serré, sans voir l’acteur. Mais le but de « Grunts » dépasse sûrement le plaisir solitaire du porno. Ici, l’idée est de créer un événement qui symbolise un jalon dans l’histoire du porno. Assaillis par le streaming, les grands studios américains développent leur image à travers ces super productions, sur le mode hollywoodien. La promotion très efficace de « Grunts » a débuté en même temps que le tournage grâce au blog de Chris Ward qui montrait les photos des scènes toutes fraîches. Des vidéos sur YouTube ont préparé le marketing et une prévente exclusive sur Internet a ralenti l’accès classique des DVDs dans les sex shops.

Résultat : Raging Stallion a dépassé en quelques semaines les 30.000 DVDs vendus (la meilleure vente de l’année 2007) alors qu’un film porno normal est considéré comme un succès quand il fait dix fois moins. Certains croient voir une des dernières manifestations prestigieuses de l’objet DVD dans le porno gay, doublée d’une course poursuite inflationniste : Raging assure pouvoir produire 24 films en 2008, soit un tous les quinze jours ! Mais ces prévisions hasardeuses ressemblent bien à celles qui touchent le futur du CD. Si Internet inonde actuellement le marché de films vite filmés et de pauvre résolution que l’on consomme face à son ordinateur (voir son téléphone portable, so sad), le porno aura toujours besoin de produits offrant des acteurs sous exclusivité, bien filmés, bénéficiant de tournées promotionnelles à travers le monde. Dans ce sens, « Grunts » réussit totalement son rôle de produit d’appel. Comme une grosse voiture que peu de fans achètent, c’est un film extraordinaire qui fait parler de lui, avant de procurer un plaisir sexuel.

SAFE