Porno Le love making dans le porno gay

Le premier cliché que l’on vous sort sur le porno, c’est que c’est formulaïque. Toujours les mêmes corps, le même déroulé dans l’action et les scènes, la même manière de jouir. Les gens sortent des banalités lues dans Psychologie : "C’est dangereux pour les teenagers, c’est dangereux pour les adultes et, à cause des risques cardiaques, c’est aussi dangereux pour les vieux". Et puis, les acteurs font ça à la chaîne, c’est une industrie qui est basée sur la prostitution, comme si l’agriculture n’était pas une industrie basée sur la pollution et comme si la politique n’était pas une industrie basée sur le mensonge. On nous a fait croire pendant des décennies que le porno c’était mal et surtout que les hommes devaient se branler dans l’abstrait, en regardant une mouche sur le mur parce que, au moins, ça ne fait pas de mal aux mouches, pourtant il paraît qu’on peut enculer les mouches quand on s’ennuie. Allez comprendre.

Bien sur, c’est des bobards. Plus le porno dévient visible et plus il s’étoffe et même si souvent le scénario se répète avec une prévisbilité déconcertante, qui donne l’impression d’avoir fait l’editing soi-même, certains films ne se limitent pas à montrer du cul. Ils montrent ce que tout le monde veut faire à un moment ou un autre : faire l’amour.

C’est une chose qui se prononce de plus en plus. Après des années pendant lesquelles on pouvait plus ou moins prévoir ce qui allait se passer dans un film (et n’oubliez pas, bande de folles blasées, que ce côté prévisible fait partie d’un attrait majeur, puisqu’on veut voir ce que l’on veut voir bordel), on découvre de plus en plus souvent de vraies scènes d’amour. Ça a commencé avec certains acteurs connus qui, on ne sait pas pourquoi, miracle du casting, ou alors ils étaient très en forme ce jour- là, se lâchent plus que dans d’autres films. Un acteur comme Logan McCree qui baise avec son mec d’alors, Vinnie D’Angelo, dans The Drifter (2008), c’était rare chez Raging Stallion. D’ailleurs le film avait été écrit par Logan lui-même, cette scène de making love était la dernière du film, dans le genre "On vous a gardé le meilleur pour la fin" et c’était ce qu’on appelait avant le clou du spectacle. Et que je t’embrasse pour de vrai, et que je te suce avec passion, et je te rends la monnaie de ta pièce (je vais continuer à enfiler les expressions toutes faites) et tout est fait avec du feeling, du collé-serré, de la vraie envie. Du coup, le film a rafflé 4 awards aux Grabbies de 2009. Régulièrement, il nous offre des scènes dingues comme dans le plus récent Giants.

On avait déjà eu ça avec des couples d’acteurs célèbres comme Colton Ford et Blake Harper qui faisaient des scènes à deux où, visiblement, ils reproduisaient sur film ce qu’ils faisaient dans la vraie vie - ce qui est aussi un gros fantasme porno : voir comment les acteurs baisent pour de vrai. Comme les deux (et surtout Blake) faisaient partie des meilleurs techniciens du porno de leur époque, cela garantissait du spectacle, et de l’émotion. Raging Stallion a tenté d’utiliser le filon avec Porn Stars In Love (2009) qui rassemblait des couples célèbres comme Damien Crosse et Francesco D’Macho mais le résultat fut à l’inverse de ce qui était espérté : sans émotion. Ce tremblement amoureux, on le trouvait aussi dans les grands classiques du porno gay d’il y a longtemps (Muscle Beach de Colt) ou Afternooners de Fox Studio (1984) et les films importants de Titan avec Dredd Scott dans Gorge. Il y a d’autres acteurs comme Blu Kennedy qui, c’est évident, font du porno pour signifier leur passion du sexe avec toujours beaucoup de respect pour le partenaire, qu’il soit passif ou actif. Et il y a des stars comme Arpad Miklos qui sont à 200 dollars sur rentboy.com mais dont la mission, ils le disent eux-mêmes, c’est vraiment de faire jouir le client donc il y a une notion très généreuse, ils ne baisent pas uniquement pour eux, ils le font pour le partenaire, donc ça veut dire que tout ce qu’ils font est axé vers le besoin de l’autre, ce qui est déjà 50% ce que veut dire faire l’amour.

Cette envie de dépasser le simple cahier des charges du porno (être bien foutu, être excitant en suçant, en baisant et en jouissant) n’est pas si rare que ça dans le porno traditionnel ou amateur. Les acteurs veulent surtout se faire remarquer, atteindre le dessus du panier (allez, encore une autre expression campagnarde), faire de la gym, avoir des tatouages innovants, avoir une grosse bite ou un cul particulièrement expert. Et on le sait, certains acteurs sont au-dessus du lot, soit parce qu’ils sont si bons dans le sexe, soit parce qu’ils arrivent avec un look que l’on n’a jamais vu avant. Un mec comme Aitor Crash, il faut être vraiment très bon pour se mesurer à lui, il faut assurer, ce sont des hommes qui sont déchaînés, resistants et très techniques à la fois (et malheureusement, il fait du bareback aussi). Ce sont des mecs qui sont vraiment nés pour le porno. Mais cela ne veut pas dire que lorsqu’ils font l’amour, ils parviennent à dépasser la simple performance (même parfaite, comme sa scène avec Antonio Biaggi dans On The Job, 2008). Souvent, ils passent plusieurs années à enchaîner des films qui montrent l’étendue de leur technique, ils apprennent de nouveaux tricks en jouant, comme un acteur normal, ils parviennent à convaincre tous ceux qui faisaient la moue et qui chipotaient sur eux au début, et puis un jour ils décident que le next step, c’est de faire une scène de cul très bien faite, mais avec de la passion, de l’amour.

Un exemple flagrant, c’est Tim Kruger. Pendant tous ses films chez Cazzo ou dans le cinéma porno US, c’était un mec incroyablement efficace, mais qui gardait toujours une certaine retenue, c’est sûrement ce que les réalisateurs devaient demander. Tu baises fort, mais tu gardes ta distance, ça rendra le public encore plus accro. Il y a beaucoup de gays influencés par le SM qui aiment ce sexe direct, peu émotif, sans floritures. Mais depuis qu’il a lancé son site perso, Tim’s Tales, il se spécialise dans les scènes d’amour avec les acteurs pornos qu’il préfère. Dirigé par lui-même, il fait l’amour selon ses règles, c’est-à-dire comme s’il le faisait avec un homme dont il serait amoureux. Cela ne l’empêche pas d’être direct, c’est toujours le même Tim Kruger, une des 5 plus importantes stars du porno gay allemand, mais il met plus d’attention dans tout ce qu’il fait. Il enchaîne les positions qui procurent le plus de plaisir, à lui et son partenaire. Quand il est près de jouir, il se retient avec un sourire. Quand son partenaire n’en peut plus, comme avec Johnny Gunn, il se retire, là encore en souriant, totalement assuré que sa bite peut reprendre, très humble sur son pouvoir qui fait jouir les partenaires un peu trop tôt. Il caresse là où il faut, il ne se limite pas à la simple pénétration, il lui accorde toutes les marques d’affection que l’on offre à son semblable. C’est lui le top mais il ne maltraite pas le bottom, au contraire, il l’amène vers le moment où c’est plus tenable.

Quand on voit ça dans un film, on se dit que c’est une exception, mais quand on en voit plusieurs sûr le même site, on réalise que tout ça est prémédité. Il y a donc une idée derrière tout ça, le besoin de mener le porno vers un moment plus vrai et plus idéal en même temps. Le porno ne devient plus l’espace du fantasme et du faire semblant, les acteurs ne surjouent plus, on ne les entend plus gémir 459 fois "fuck me !" comme dans la majorité des films de grands studios, ce qui est le moyen le plus sûr pour faire débander n’importe qui, on arrive à la vérité et on ne touche plus la télécommande.

J’ai déjà écrit un texte sur le studio Taggaz où là aussi, les couples de blacks perforent du vrai love making. Ils sont versatiles, c’est direct et ben filmé, les pipes et les enculades sont interminables, pour le plaisir de tout le monde. Ce sont des films qui vous font jouir bien avant le climax de l’orgasme de fin de séquence. C’est dense, respectueux, rough mais gentil. On ne voit jamais un mec jouir tout seul, comme cela se fait dans pas mal de films. Ou si l’un des deux se branle à la fin, l’autre est en face, ou sur le côté, à le regarder, parfois même sans l’encourager particulièrement en le stimulant au niveau des seins, de la bite, du cul ou des caresses. Mais il reste attentif, il est tout proche.

Il y a des acteurs qui font toujours l’amour ou vous donnent l’illusion qu’ils le font toujours. Joe Parker, pour moi une des grandes révélations du porno amateur de ces deux dernières années, est un mec avec un look hetero qui sait vraiment bien baiser, sa bite est toujours dure et il bouge pour son plaisir mais surtout, là encore, pour le plaisir de son partenaire. D’ailleurs son rythme n’est pas très rapide ou saccadé,c’est un mec qui aime prendre son temps. Il est sûr de son résultat. Dans Romantic Tryst, il est un giver du début jusqu’à la fin.

Dans la majorité des films gays modernes, le thème du film (uniformes, SM, bareback, twinties, tout ça), détermine souvent la manière avec laquelle les acteurs baisent. Dans les films hard, il faut y aller à fond, foncer sans réfléchir et plus c’est codé et plus c’est difficile de dépasser tout ce cadre pour faire du love making. Un exemple : même dans un film cuir ou SM, où l’idée de rang et de supériorité est centrale, il peut y avoir du love making mais c’est finalement rare car le public hard n’aime pas tellement que l’on mélange les genres. On sait aussi que ça arrive aussi dans le bareback précisément parce qu’on est dans une idée de fusion mais, dans la très grande majorité des cas, c’est juste du breeding ce qui n’est pas du tout la même chose que du love making, c’est d’ailleurs là un des mensonges principaux de la baise sans capote. Même chez Bel Ami, qui fait désormais du bareback sans complexe pour jeunes, on pourrait penser qu’on va trouver plus d’affection. Mais si l’ambiance est toujours décontractée et rigolarde, c’est rarement le cas. Finalement, dans ces films, on y trouve un abécédaire de toutes les techniques de la baise gay, et elles sont sacrément sophistiquées de nos jours, surtout pour les jeunes, mais on apprend peu à se comporter d’une manière amoureuse.

On voit donc que le retour du love making provient surtout des vieux routards du genre qui sont prêts à se révéler dans une nouvelle niche commerciale. Pour eux, c’est sûrement une manière de résister à l’ennui de leur profession. Collin O’Neal, par exemple, aurait pu se spécialiser dans ce genre, il a toutes les capacités, mais il a raté le coche en devenant, au contraire, de plus en plus détaché Dans In Bed With, sa scène avec Johnny Hazzard est très proche de ce qu’il donne en vrai... Antonio Biaggi, encore lui, aurait pu aussi se diriger vers cette direction, mais il a preféré quitter le porno classique pour se libèrer sans le bareback où il est, il faut l’admettre, plus dans son élément. Remy Delaine, dirigé par Streve Cruz et Bruno Bond (qui re rejoignent dans le lit) pour Hard Friction, est aussi un grand moment de love making. On voit que les acteurs s’accordent un moment presque pour eux seuls.

Mais voir un acteur porno, surtout célèbre, se montrer sous l’angle du faire l’amour, c’est quand même comme si on avait enfin accès à sa vraie personalité, pas celle qu’il a créée en tant que star. C’est comme si on avait la version non éditée du film, celle qui vous fait vraiment chavirer comme si c’était un remix intégral d’un morceau de House. Certains jours, on n’a pas envie de regarder ça, c’est trop exigent, il faut vraiment entrer dans le truc, on ne peut pas le faire à moitié. Mais d’autres jours, c’est une sorte de cadeau que l’on s’offre à soi- même. A treat. À quoi bon regarder un film hard très bon quand on peut avoir un film hard très bon où les mecs sont complètement focalisés, à transpirer de bonheur en se montrant GENEREUX ? On dirait que ça leur fait des vacances à ces acteurs, une sorte de tournage spécial, pas forcément dans la prouesse de l’effort mais plutôt dans le plaisir d’être eux- mêmes. Titan à toujours essayé de faire ça, surtout dans la série des films de Joe Cage où des mecs plus âgés baisent avec des jeunes dans un style libéré, décontracté comme dans Barn Storm. Chez Raging Stallion, il y a Ben Leon qui a toujours su offrir beaucoup de lui-même comme dans Passpoart to Paradise. Dans les films inter-raciaux, il y a ça aussi, quand on sent que les deux acteurs font des efforts pour se séduire et pour réaliser un fantasme fondamental basé sur la complémentarité ou une différence.

Mais surtout, cette niche de l’amour dans le porno gay, c’est un message d’espoir dans un domaine culturel qui ne cesse de s’étendre d’une manière exponentielle. On le sait, le porno n’est plus du tout réservé, comme à mon époque, aux hommes adultes qui avaient les moyens financiers de s’acheter les cassettes VHS ou les DVD. Aujourd’hui, le porno est finalement nourri par les jeunes, ça se voit sur les sites de partage de fichiers, où la popularité de certains films est clairement alimentée par les 15-25 ans qui décident des tendances. Le fait de voir des hommes faire l’amour, dans les films amateurs ou des grands studios est un indicateur d’un besoin. Et ce qui me fascine, c’est que la majorité des bons films où on voit les acteurs faire l’amour, ce sont des films safe. Avec capote. Et qu’est-ce que ca veut dire ? Ça veut dire que déjà une immense proportion de films gays persévère dans le safe sex et reste incroyablement excitante. Et que dans cette catégorie, une niche encore plus pointue montre des hommes faisant l’amour d’une manière parfaite, comme on sait que le vrai amour devrait être exprimé, et que ça reste safe du début à la fin.

C’est ce qu’on appelle, dans tous les sens du terme, un sans faute.