Porno Les tatouages et les gays
Cette fois-ci encore, je ne me voyais pas rabâcher sur un autre sujet morphologique avant, au moins… trois semaines, mais à force de regarder les photos sur Tumblr, je me dis à chaque fois qu’il y a quelque chose à raconter sur les tatouages chez les gays. JE SAIS, tout le monde est conscient de la signification immense que ça prend dans la culture moderne (le corps, la tribu, l’imagination, tout ça) et je n’ai rien de spécifique à écrire qui ne soit pas, sûrement, déjà écrit dans les blogs de vrais amateurs de tatouages. Le tatouage est partout, c’est une industrie avec sa presse, ses conventions internationales, ses freaks, etc.
Ce qui me saute aux yeux, pourtant, c’est le décalage entre les tatouages chez les gays européens et les gays américains (du nord ou du sud, comprenez bien). Dans le porno de la vie de tous les jours, on voit qu’on est arrivé à un plateau du tatouage tribal et encore, quand on parle de tribal, ça ne va pas très loin, très peu ont adopté les vrais tatouages de la Polynésie ou les trucs vraiment pointus des autres civilisations. La grande majorité de ce qu’on voit, ce sont ces énormes balafres épaisses noires avec des motifs plus ou moins gothiques sur des parties du corps qui ne sont pas originales (les bras, le biceps, l’épaule, le dos supérieur). Si on cligne les yeux, on réalise souvent que le mec aurait mieux fait de s’abstenir : ça lui a coûté cher, ça a du faire mal, et c’est pas particulièrement sexy, ce qui, pour un tattoo, est le pire résultat. Le motif est tellement grossier, tellement déjà vu et ça sera tellement difficile de le cacher plus tard ou de le modifier quand il sera 150% has-been. Je me demande surtout quelle est la motivation pour tous ces pédés : imaginez le tatoueur qui se dit « super, c’est le 15ème ce mois que je me fais avec le même tatouage ». Le plaisir de la répétition je suppose. Ils en parlent de tout ça dans l’émission "Miami Ink".
Le tatouage tribal, c’est pour les gays un rapprochement de plus avec la sexualité SM et souvent même le bareback. Je ne parle pas ici du signe Bio Hazard à la Warning qu’on voit régulièrement sur les pédales chétives (à part Dak Ramsey qui en a un sur le ventre, les autres sont tous des crevettes). Je me rappelle en avoir vu une dans un bus, en plein été, au moment où on passait devant le Sénat à Paris, j’étais assis derrière lui et je le voyais très bien (il l’avait mis au bas du cou c’te conne) et j’ai failli lui foutre une mandale en la traitant de conne mais comme je suis physiquement non violent j’ai fermé ma gueule. Je crois que cette idiote a très bien compris le mépris dans mon regard, ça suffisait.
Ce qui est fascinant avec les tatouages tribaux, c’est à quel point c’est démodé. Vous feuilletez les magazines de tatouages pour hétéros au magasin de journaux et il y en a des pages et des pages. On croit que c’est fini mais ça continue à donf cette bêtise et les gays montrent par là aussi, qu’ils suivent, ce sont des suiveurs. Ils veulent des tats de beauf tout en s’imaginant que c’est toujours underground et hardcore. Et même si ces motifs tribaux ont envahi le monde entier (les asiatiques les aiment aussi beaucoup), il y a une spécificité européenne qui a encouragé ces dessins. Ce n’est pas seulement la proximité historique, je m’explique.
Depuis 15 ans, on voit que les tatoueurs américains utilisent beaucoup plus le délié les lettres, des dessins avec des traits fins, des couleurs différentes comme le vert, l’orange, le jaune. Depuis toujours, l’écriture américaine est différente de l’écriture européenne, on n’apprend pas aux gosses à écrire de la même manière et ce style script se marie mieux avec la peau. Alors que nous, en Europe, on utilise beaucoup plus les majuscules, les mots avec des lettres bâton, tout ce qui est sec et droit, au lieu de faire des déliés, des boucles. Je me rappelle que lors de mon premier tatouage, en 1988, j’avais fait écrire le nom de mon mari, Jim, sur mon avant bras et ça a toujours été illisible, ce qui n’était pas trop grave.
Alors, dix ans plus tard, quand j’ai voulu faire écrire « Where Love Lives » et « Love Is The Message » sur mon épaule, je suis allé tout de suite voir une nana new-yorkaise que Jean-Marc m’avait conseillé et je n’ai pas eu à lui expliquer ce que je voulais, elle a tout de suite compris. Elle a écrit, presque avec son écriture naturelle, et c’était bien. Si j’avais eu à expliquer à un tatoueur français qu’il fallait imiter une écriture américaine, j’aurais passé dix minutes avec des dessins, des recherches Google et un plan de la constellation des étoiles.
Jean-Marc était un très bon exemple de ce qui allait devenir la marque des hipsters, 15 ans après. Quand il a commencé à se faire faire des tatouages qui ressemblaient à des poèmes, avec des couleurs et des motifs qui avaient déjà incorporé l’influence de la douceur presque féminine des illustrations pour adolescentes japonaises, avec des couleurs que l’on n’avait jamais utilisé auparavant dans le tatouage, on savait qu’on était en train de passer à un style beaucoup plus né dans l’illustration. Les thèmes n’étaient pas les mêmes, les ombres non plus et même les tatouages qui prenaient tout le dos se faisaient plus légers et aériens.
Alors qu’en Europe, on est toujours dans l’idée du tatouage comme une marque de scarification, on est toujours dans le marquage d’animaux (d’où le truc SM). L’idée est d’être marqué comme du bétail et ça veut dire beaucoup de choses sur la sexualité gay, le fait de se traiter comme de la merde, de dire "tu seras pas pareil après cette baise ». Dans The End, je me moquais déjà de ces tatouages de soumission et ça date déjà de... 2004. Pendant les trois dernières années, ça c’est accentué. Pour un tatoueur, ça doit être affreux de voir venir ces folles qui ont tellement peu d’imagination parce qu’elles arrivent avec un motif avec du trait qui fait 4 centimètres d’épaisseur. OK, tu veux pas d’aiguille, on va prendre ma vieille machine de Piero gravure et on va t’arracher la peau comme un râteau. Le truc c’est d’avoir mal surtout.
Et j’en viens à ce qui se passe sur Tumblr. Le premier à m’avoir parlé de ça, c’est encore Laurent Chambon. Il me disait qu’il y avait une nouvelle tendance de tatouages sur les pectoraux des mecs à sa gym qui faisaient que de loin, on avait l’impression que le mec avait des pecs poilus. On avait déjà ça sur les avant-bras car de nombreux tatouages sur la partie extérieure du bras accentue l’ombre de la pilosité depuis toujours. Mais placer des dessins sur les deux muscles des pectoraux pour en exagérer le volume, c’est nouveau. C’est tellement nouveau que, là aussi, ça dit beaucoup de choses sur la mise en valeur de cette partie du corps. Avant, on avait de jolis pecs, ou on en n’avait pas. Si on en n’avait pas, on faisait de la gym, des pompes et des développés couchés. Aujourd’hui, on peut avoir des pecs normaux, mais si on a des tatouages qui les mettent en valeur, qui recouvrent l’espace pris par le muscle, alors c’est presque comme si on était transformé instantanément en vrai dude.
On peut même déjà anticiper le moment où des mecs qui ne sont pas poilus sur le torse vont se faire dessiner des tout petits poils, comme ça se fait déjà sur les photos passées par Photoshop. C’est dessiner du poil sur la peau ! Comme Sagat s’est tatoué des faux cheveux, mais là, poil par poil. Par exemple, chez certains blacks et les latinos qui ne sont pas très poilus sur les pecs, on voit que ces dessins sont en train de mettre en valeur une partie du corps majeure dans l’esthétique masculine. Grosso modo, il se passe avec les pecs ce qui se passe depuis 10 ans avec le nombril chez les femmes. If you got it, flaunt it. C’est quelque chose que l’on montre sans arrêt. Les hommes se déshabillent tout le temps désormais et la manie de se prendre en photo à poil pour illustrer son profil de drague ou pour montrer sa bite sur Tumblr, c’est une manière de s’exposer frontalement qui, forcément, privilègie la partie supérieure du corps.
Comme toujours, ces modes naissent à partir de couches sociales les plus défavorisées comme les Latinos au Mexique, les gangs de la Côte Ouest ou les russes de la mafia. Avant, les noirs ne se tatouaient pas beaucoup, selon l’idée toute simple que l’encore noire sur de la peau noire, c’est un peu gâché. On voit bien désormais que tout ça est oublié, le tatouage apporte un niveau supplémentaire de profondeur à la peau et puis les noirs qui ont une peau plus couleur sont influencés par les dessins inventés par les latinos. Des artistes de hip hop comme The Game, Soulja Boy et surtout Lil Wayne ont imposé de fait les tatouages qui touchent toutes les parties du corps, surtout le visage.
Pour revenir à ces tatouages sur les pecs, le grand truc depuis un an ou deux, ce sont les phrases en collier sur la partie supérieure des pecs, juste sous le bas du cou. Beaucoup de blancs américains les adoptent car ça fait tout de suite thug, mais beaucoup mettent des messages poétiques. Ce sont des tatouages qui ressemblent à des guirlandes, comme pour illustrer la personnalité de la personne, puisqu’ils encadrent le visage, donc l’esprit. Ces tatouages ont aussi de la valeur, même quand ils sont en partie cachés par une chemise ou un T-shirt. L’ensemble du motif n’est visible qu’en partie, mais ça le rend plus mystérieux encore, c’est un peu comme des poils que l’on entrevoit dans l’ouverture d’un polo ou d’un T-shirt.
Le truc qui m’émerveille le plus, c’est quand le motif colle vraiment à l’anatomie des pecs du mec. Soit ce sont deux motifs identiques qui prennent globalement la place des seins et là encore, il y a des versions tribales plus fines, plus alambiquées. Soit c’est n’importe quoi, un dessin ou des lettres qui s’étalent sur toute la largeur du torse supérieur, un peu comme ces lettres gothiques ou pas que les latinos mettent sur leur ventre et que Ricky Sinz a copié. Un mec qui a un joli torse en V se trouve alors avec un torse +++. Un mec qui n’a pas de torse développé comme moi se verrait avec une version améliorée de fait, ce qui est plutôt cool. Sans mentionner le fait qu’à part les tétons, se tatouer les pecs ne fait pas trop mal, ce n’est pas une région où la peau est très fine comme l’intérieur des bras (skinhead style) ou pire, la bite, comme ça se fait de plus en plus (Alexsander Freitas).
Pour moi, les deux régions de tatouage les plus érotiques restent le cou (skinhead encore) et le côté droit du bassin (très brésilien) ou gauche. Ou alors le bas de la jambe. J’ai toujours adoré le tatouage de Shazz dans le cou car à son époque, c’était très courageux de faire ça, surtout quand on est gay. Là aussi, ce sont des tatouages extrêmement virils, il faut avoir la gueule qui va avec pour le faire.
Je me suis fait mes premiers tatouages en 1988. J’habitais rue Cardinet et il y avait ce vieux tatoueur traditionnel trois ou quatre rues plus haut. Jim et moi on s’est fait mettre la même rose sur le bras chez lui. A l’époque, à part Pierre & Gilles, peu de gays se faisaient tatouer en France, c’était encore considéré comme un truc de beauf. Regardez les films pornos de l’époque, il y en a peu. J’ai commencé par la rose car c’est un motif très traditionnel, comme l’ancre des marins, les coeurs ou l’hirondelle. Mon idée était, à terme, de faire ce que Marc Almond a fait ensuite, des fleurs sur tous les bras. Quand j’ai vu qu’il le faisait, j’ai laissé tomber. Et puis je suis devenu fauché.
Donc j’ai arrêté et surtout, en tant que séropo, je ne me voyais pas me tatouer partout, surtout si je devais crever. On sait très bien que c’est le contraire qui s’est produit chez de nombreux séropos, ils ont pensé : « Si je dois crever demain, autant me lâcher et y aller carrément ». Au fil des années, les couleurs de mes tatouages se sont estompées. Là encore, j’ai laissé faire alors qu’au départ j’étais très convaincu, comme tous les tatoués, qu’il ne faut surtout pas laisser les couleurs passer. Je me suis dit, tout ça est vain, je m’en fous, ces tatouages et les souvenirs de belle époque d’un amour déjà fini. Je n’allais pas ressusciter un tatouage que j’avais partagé avec un homme qui est mort.
Et pendant ces années, tout le monde et son chien s’est fait tatouer. Les hétéros ont commencé à se faire des tatouages de pédés, les pédés se sont fait des tatouages d’hétéros et les barebackers ont tellement pris de place dans ce bordel que je n’avais pas envie de les voir chez un tatoueur non plus. Je n’avais pas envie de prendre des risques concernait l’hépatite C non plus. Je sais que maintenant c’est plus clean qu’avant mais à chaque fois que je vois ces tatouages sur Tumblr, c’est comme quand je vois des photos pas safe, je me dis « OK, il est en train de se choper le VHC, à ce moment précis ».
Mais ça fait deux ans que je joue avec l’idée de me faire tatouer à nouveau, comme si j’étais passé par toutes les étapes du pour et du contre. J’ai commencé avec l’envie de me faire un tattoo dans le cou. Je vis à la campagne, personne ne m’emmerde, je trouve que ça va très bien avec le fait d’avoir bientôt 53 ans. Ensuite je me dis que ça serait bien de refaire les couleurs de mes tatouages délavés, surtout pour les changer complètement, mettre du vert ou du bleu à la place du rouge de la rose et en profiter pour élargir le tattoo en l’incorporant dans quelque chose qui n’aurait rien à voir avec la rose du départ. Mais le truc qui m’a fait vraiment basculer, c’est Tumblr et tous ces mecs avec des tats sur les pecs. Je me suis dit « ça, je sais que ça m’irait et que ça ne se démoderait jamais ». Le plus beau tatouage que j’ai vu récemment, c’est celui-ci, mais Robert n’a pas aimé.
Le truc, c’est que j’ai longtemps été capable d’imaginer ce que les gens feraient comme tatouages. Quand on est passionné par le design ou le dessin ou la photo, on sait que certains motifs vont arriver et devenir populaires. Par exemple, en 1990, je pensais me faire un bandeau d’une ligne autour du poignet ou de l’avant bras, à la Trevor Knight. Bingo, c’est devenu un truc de barebacker. Pareil pour le code barre, c’était tellement évident que ça allait faire un carton. Et tous les tats en bas du dos ou pire, autour de la rondelle, c’est vraiment beurk - mais ça j’imagine même pas le faire.
Mon grand délire aussi, c’est de regarder les photos de mecs qui ne se sont pas fait tatouer. Ceux qui sont entourés de copains qui l’ont fait et qui ont décidé que leur particularité sexuelle serait de ne pas avoir de tattoo, justement. D’avoir des corps beaux mais totalement nature. Et de les voir dans des environnements de groupe ou de foule où tout le monde est tatoué sauf eux. Ils sont alors mis en valeur. Ils n’ont pas suivi le troupeau. Même si leurs amis sont assez intelligents pour avoir choisi les bons tatouages, eux restent au-dessus de la mêlée. Ces hommes-là, je les mets dans la catégorie des Bob Bishop de l’érotisme gay, des mecs simples et magnifiques à la fois, au regard clair, à la peau si parfaite qu’elle ne nécessite aucun gribouillage, même le plus beau du monde, même exécuté par le plus grand artiste. Vierge is the word.