Porno Ryan Sullivan’s Island

de Ryan Sullivan (Treasure Island Media, 2008)

C’est avec une résignation admirative que l’on est obligé de voir « Ryan Sullivan’s Island » comme le premier film porno d’art réussi. Minorités en a déjà parlé avec Richard Mémeteau qui se trouve ici crédité au dos de la réédition de ce DVD : Usually, documentaries about porn either turn into porn or miss the obscenety of porn entirely. One exceptionally gifted film maker manages to reconcile the two by invoking a superior beauty, a superior mystery. Ryan Sullivan has filmed scenes of gay porn as if he were the next Pasolini or David Lynch - Richard Mémeteau, cultural critic and Professor of Philosophy.

Minorités a du flair. Mémeteau a été le premier en France à s’attaquer à un des OVNIs du catalogue de Treasure Island Media, le célèbre studio californien spécialisé dans le bareback hardcore pour gays. Il y racontait comment ce film a pris forme, quel était le processus et l’aspect gore qui se mélangeait à une réelle esthétique cinématographique. Mais voir ce film ressortir en réédition dans le coffret « What I Can’t See » est une révélation décalée (le film date de 2008).

Beaucoup de réalisateurs porno se sont aventurés dans le film « artistique » et ça a été à chaque fois une catastrophe désopilante. Souvent, ces réas confondent « art » avec surabondance de décors. ChiChi La Rue a voulu faire sophistiqué en mettant des filtres sur les caméras et en disposant d’une manière panoramique des tonnes de perles et de chaînes, tout ce qui brille pour une folle sous Cristal meth. Entre Michael Lukas qui nous fait des brochures publicitaires sur toutes les villes d’Europe avec des simili-chateaux de Prague ou en ce moment, plus prosaïquement, Tel-Aviv, entre les ranchs du Brésil de Kristen Bjorn qui regorgent d’écuries grand style et le kitsch de Cadinot, l’illumination mégalomaniaque de Colt ou les pires films de SM où on mélange le décorum à la démonstration anatomique clinique, on a eu droit à beaucoup de dauberies. On finit par se dire : « Bon, on n’a pas nécessairement besoin d’une stretch limo de 10 mètres de long pour réussir une bonne scène de cul, non ? ».

Il y a eu ensuite ceux qui se sont vraiment attaqués au sujet en essayant de rendre le porno plus « art ». Bruce LaBruce ne fait pas de porno mais il a influencé une production qui cherchait le décalé, comme certains films de Cazzo où l’image est achée ou accélérée, où on fait du punk onirique, ou carrément thriller cheapos presque proche de la performance, avec des crétins qui baisent avec des têtes de tigres ou autres félins (y’a un marché pour ça, believe it or not). Il y a aussi « Passio » de Dark Alley Media qui nous fait tout un délire à la Derek Jarman sur la passion du Christ. Zzzzzzzzz. Je dois chercher dans ma collec ce film anglais typique dont je donnerai le titre quand je l’aurai trouvé, là ça me fait chier, où le réalisateur a cru pouvoir mélanger le sexy avec un autre cliché, le « Chant d’Amour » de Jean Genêt. Booooring. On n’a pas besoin de Genêt pour faire du porno merci et le résultat est forcément nul : l’esthétique tue l’action et l’action n’est jamais vraiment active à cause du poids de l’esthétique.

Donc tout le monde se casse les dents sur cette envie de faire du porno conceptuel qui se tienne. Et arrive ce film réalisé par Ryan Sullivan à 24 ans, au plus profond de la tristesse du bareback, qui se met à filmer des paysages et à produire des bruitages qu’on n’a jamais vus dans le porno, même dans le porno noir des films SM de Titan. C’est un film qui a de la matière, puisqu’on a beaucoup d’infos sur comment ça se fait et on voit les mecs baiser aussi . On parle de porno historique ici, un objet qui a autant de valeur qu’un des meilleurs John Waters.

Non seulement le film est bien réalisé (Gaël Maurel, eat your heart out), avec une image précise et beaucoup de contraste entre le noir et le blanc sans devenir trop graphique mais, pour une fois, la discussion entre le modèle et le réalisateur est intéressante. En arrivant de son Nebraska natal, Ryan Sullivan découvre le San Francisco underground du porno moderne et le montage de son film reflète ce cheminement, ce n’est pas un script à la Falcon quoi. C’est ingénieux, le rythme sursaute sans faire oublier qu’on est dans le porno et il y a ces bruits dont je parlais, qui surprennent mais ne désorientent pas (le pire pour le porno en général).

Ce film est un landmark, un moment où l’on peut dire qu’il existe une autre manière de faire du porno, qu’on savait que ça existait quelque part et le voilà, par un kid suicidaire totalement à l’extérieur du milieu porno qui a tout pigé, comme les jeunes de sa génération. Je pense que les grands réalisateurs ont laissé tomber depuis longtemps cette chimère de faire un film hard et en même temps arty et c’est une bonne chose, moi je n’attends pas ça d’eux, je veux de l’efficacité maximale. Mais il reste cette énigme. De tous les studios, pas un seul n’aurait pu produire ce film qui a été accepté par Paul Morris, le patron de Treasure Island Media. C’est la liberté de ton de TIM qui a permis à ce film et si TIM reste un endroit entaché de plein de virus et plein d’IST, la filmographie de ce studio fait date depuis 10 ans et il y a beaucoup de scènes dans ces films qui sont effectivement très excitantes.

Il faut voir « Ryan Sullivan’s Island » comme un « Glee » porno pour post-ados malins, ou pré-ados déjà barges sur la pente de la prise de risques à tous les coups. Il y a la même fascination pour la performance, l’autodérision, l’envie de devenir célèbre à tout prix, avoir une motivation déraisonnable (trouver son frère à SF et le sortir des griffes de l’industrie porno tout en s’y jetant soi-même) et une candeur physique qui crie « attention, talent ! ». C’est le premier film qui trouve une balance entre les moments de sexe pur et tout ce qui l’entoure, les préparatifs, les dialogues de présentation (et pourtant ce n’est pas un Making Of ou un Behind The Scenes). Comme dans les films de JNRC, le déroulé est conceptuel : on discute, on baise, on se contamine et on passe à l’acteur suivant. C’est ingénu et totalement pervers et le signe qui ne trompe pas, c’est que lorsqu’une scène se termine, on veut savoir ce qui se passe ensuite. Il y a du suspense.

Donc ce film est un mélange entre « Je cherche la scène la plus sexe » et « je regarde ce film parce que l’industrie porno me fascine ». C’est un film qui fait les deux à la fois et c’est très rare. L’intrigue dans le porno, c’est comme la farandole à la fin de tous les Benny Hill : elle tourne et elle tourne mais on sait très bien où elle va. Nulle part. Ici, au contraire, le montage est d’une utter brillance, la musique aussi, quelque chose qui ne découpe pas le film pour faire genre, mais avec douceur, malgré le sujet du film. Ryan Sullivan discute aussi le fonctionnement de l’industrie porno gay qui attire des gosses et des hommes paumés qui viennent des quatre coins des USA et qui brillent à travers le système de la prostitution – mais je pense que ce système est exactement le même que celui qui fait vivre le cinéma normal.

Il y a un angle ici encore plus pointu avec l’attraction qu’exerce Treasure Island Media. Sullivan a proposé ce film à Paul Morris et il ne l’aurait probablement pas proposé à d’autres studios de San Francisco. A travers ce film, on mesure le pouvoir hypnotisant de ce studio bareback qui, à mon avis, reste creepy et dégoûtant 70% du temps mais qui, je le répète, réussit dans les 30% restants du porno fantastique, à partir de n’importe quel point de vue, même celui du safe sex. Si tout TIM était dégueulasse, ce serait simple. Mais TIM produit du porno qui est aussi hallucinant d’efficacité dans tout, les modèles, le type d’action, les angles, la lumière, le son (tout Machofucker par exemple).

Note : ne pas oublier que Treasure Island Media est désormais une marque, un logo qui se tatoue (certains acteurs porno le portent) et bientôt, j’en suis sûr, une ligne de T-Shirts et autres ustensiles. Le logo du studio est tout un symbole : violent, pirate, hors-la-loi, noir et blanc avec une tache de sang. Pas du tout le classicisme de Falcon ou le look corporate de Titan. Le logo de TIM est donc le seul logo de l’industrie porno gay qui joue sur des sentiments négatifs. Et c’est ça, bien sûr, qui lui assure un following croissant qui, avant, était proche de la secte et qui est aujourd’hui international. Si vous êtes gay et que vous êtes sur Internet, vous êtes pratiquement obligé d’attérir un jour chez Treasure Island Media. C’est comme ça.

Ce film est donc tout à la fois. Un porno arty efficace, un script à partir du journal d’un garçon perdu à la recherche de son frère, une envie de contamination dans la capitale gay du porno, et ce moment où il faut avoir la correction d’admettre que Treasure Island Media a signé un film indépendant qui a sa place dans tous les festivals de cinéma LGBT. Comme je disais, c’est très rare.

NOT SAFE

Photos

Paul Morris, the bad karma

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stud from heaven

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he’s that good !

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Orgasm

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Ryan working

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Confessions

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Yeah do ya ?

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oh shiiiiiit !

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explosions in porn !

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what I can’t see

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