Porno Suicide : la côte d’alerte chez les gays @ Slate

Pourquoi ces suicides chez les gays ?

La disparition récente de l’acteur porno français Wilfried Knight pose à nouveau la question du suicide chez les gays. Il y a deux mois, c’était l’acteur américain Arpad Miklos qui mettait fin à ses jours. En France, on a tendance à découpler ces décès sensationnels de la population homosexuelle lambda avec des arguments rapides : le métier d’acteur porno est sujet à des pressions particulières ; ces acteurs vivent aux Etats-Unis ou au canada, ce qui les éloigne du quotidien hexagonal. Pour certains, il y a même un sentiment de revanche car ces acteurs ont eu la vie facile, ce sont les cigales de la fable de La Fontaine : célèbres beaux, admirés, ils ne durent pas longtemps et finalement, on les méprise pour leur succès - parce qu’on les envie.

Pourtant, le suicide plane sur la communauté gay moderne et beaucoup y pensent. Ils y pensent plus, d’ailleurs, que pendant les années dures du sida. Dans mon entourage ou ailleurs, des amis en parlent, j’en parle moi-même, on se sent au bout du rouleau comme d’autres se suicident sur les voies ferrées parce qu’ils sont au chômage depuis trop longtemps. C’est la crise économique qui provoque ces envies d’en finir, ce refus d’assister aux années de dégringolade sociale qui nous attendent. La déception envers le gouvernement PS est immense et les sondages corroborent cette désaffection.

Mais chez les gays, l’envie de suicide se développe précisément au moment où le mariage pour tous va enfin offrir aux personnes LGBT la reconnaissance symbolique qu’ils attendaient depuis (trop) longtemps. On pourrait penser que cette réforme sociétale encouragerait le mieux vivre des gays. C’est le contraire qui se passe et c’est pourquoi les médias gays et les associations LGBT ont tant de mal à exprimer le moindre avis sur cette période suicidaire.

Les gays se suicident parce qu’ils sont seuls. Dans le cas de Wilfried Knight, la raison de son geste est clairement l’incapacité de se marier avec son partenaire qui a aussi mis fin à ses jours il y a quelques semaines. Mais Wilfried était seul et une partie de sa détermination avait pour but de "rejoindre" son amoureux dans la mort. On parle beaucoup du suicide chez les jeunes LGBT dans les études sociales ou dans le combat contre l’homophobie mais on s’intéresse moins au fait qu’une grande partie des morts volontaires surviennent chez des gays plus âgés, ceux qui sont érodés par la transformation de la communauté gay en vaste supermarché de drague. Les drogues récréatives, les binges d’alcool et de sexe, les IST en hausse, la peur de vieillir seul affectent souvent la génération des baby boomers gays pour qui rien n’est prévu dans l’agenda homosexuel. C’est le mariage gay - ou rien.

Or nombreux sont ceux qui ne se sentent pas concernés par le mariage gay. Ils savent que c’est une loi importante, symbolique, universelle. Mais ils doutent qu’elle change leur vie quotidienne. Pendant ce temps, le processus politique qui accompagne le débat de la loi a provoqué une overdose d’insultes qui a touché un nerf sensible. Il y a deux jours, une conférence à la Sorbonne accueillant Christine Taubira a été détournée par une poignée de militants de d’extrême droite sans que la salle n’intervienne vraiment pour marginaliser des interventions qui avaient pour but d’infiltrer un débat. Si les gays ne savent pas se défendre pour garder la parole, c’est encore la preuve qu’on a oublié, en l’espace de dix ans à peine, le legs activiste d’Act Up. L’entourage gay de Taubira est peuplé de représentants associatifs LGBT assujettis au pouvoir, qui ne savent même pas faire rempart à la Garde des Sceaux face à des éléments homophobes. Bref, ce sont les gays aujourd’hui qui subissent les zaps, au lieu de les infliger à d’autres. Les gays sont devenus des moutons. Ils sont muselés par le pouvoir.

Ce qui est important de noter dans cette présence du suicide chez les gays, c’est qu’elle concerne surtout ceux qui ont une position sociale dominante. Arpad Miklos, Wilfried Knight et les autres appartiennent à la "classe A" des gays, quoi qu’on en dise. Ce sont des hommes mondialement connus, appréciés. Les affaires entourant la mort de Richard Descoings ou d’avocats prestigieux montrent que ces disparitions sont liées à des questions plus larges qui touchent à l’essence même de l’identité LGBT : le fait de s’assumer, de revendiquer le coming-out. Or, en France en tout cas, le long débat cauchemardesque sur le mariage gay (qui est loin d’être fini, rappellons-le) n’aura provoqué aucun mouvement de masse de coming-out. Le mariage gay n’aura pas entraîné des coming-out importants de célébrités, journalistes, hommes politiques, simples gays. On s’émeut de témoignages secondaires et anonymes sur des parents qui écrivent des lettres attendrissantes sur l’homosexualité de leurs enfants, c’est bien, mais les premiers concernés restent dans l’ombre.

Ce mal être est la grande déception de l’arrivée de la gauche au pouvoir. Il y a encore un an, on pouvait espérer une nouvelle donne, une époque de liberté et d’expression. À la place, c’est le moment des chaises tournantes. Le magazine Têtu est vendu pour un euro symbolique à un proche de François Hollande. À la tête de la rédaction, on y retrouvera probablement un ancien rédacteur en chef adjoint, licencié par le même média... il y a 5 ans. Quelle logique ? Quand va-t-on aborder les vrais sujets politiques ? Aucun débat n’est lancé, aucun projet non plus. Le milieu sida est atone. Il faut regarder cette succession de suicides, chez les gays célèbres ou anonymes comme un symbole d’impasse d’une communauté sans direction. Le travail est mal fait. Il n’y a pas de leadership. Les gens perdent espoir. Il faut arrêter de se taire sur ce phénomène. Il prend de l’ampleur.

Documents joints