Porno Tom of Finland dans Clark #46
Une interview demandée par Sixpack pour le lancement de leurs magnifiques T-shirts Tom Of Finland.
Bonjour Didier. Revenons d’abord au commencement… Comment avez-vous découvert Tom of Finland ?
Comme beaucoup de personnes de ma génération. Ses dessins apparaissaient un peu n’importe où, dans les rares revues proto-gay des années 70. On découvrait un dessin par ci, par là, sans dire qui était Tom Of Finland, ce qui veut dire que son nom, uniquement son nom, était un élément de fixation érotique. On se demandait « Mais qui est ce Tom de Finlande ? » comme si c’était un homme très beau, proche de ses dessins, comme quand on imagine un bûcheron du Canada. Ensuite, j’ai très vite compris que parmi les très nombreux dessinateurs érotiques de son époque, Tom était le plus prolifique, et le plus abouti, techniquement parlant (il n’y a que les dessinateurs Rex et Bastille pour le dépasser, et il sont beaucoup moins connus). Surtout, il a inventé un physique gay qui servait à satisfaire l’imaginaire quand les photos d’hommes nus étaient encore rares. Ensuite, j’ai découvert ses petits livres « Kake » qu’à l’époque on ne pouvait trouver que dans les sex shops d’Amsterdam. Il était déjà énormément célèbre chez les gays.
Le travail de Tom of Finland chemine entre hyperréalisme, ironie, fantasme et militantisme... Selon vous, faut-il voir une forme de dualité dans son travail ?
Non, c’est juste le travail d’un homme cuir, pas forcément joli, qui s’est totalement immergé dans sa vision d’un homme viril, décomplexé, doté d’une anatomie de rêve. Pour dire les choses d’une manière crue, Tom une crevette qui ne s’aimait pas beaucoup et qui était totalement amoureux des hommes musclés et souriants. Il projetait donc une idée de ce que les gays allaient devenir. Il imaginait une sexualité libérée, radieuse, sans vice – et virile. C’est un visionnaire complet, on peut tout voir à travers le travail de Tom : chaque histoire racontée dans ses petits livres Kake était un exemple de miracle gay : comment on se comporte entre hommes. Cela finissait toujours par des sourires et des rires. C’est une idée très militante en soi.
Tom Of Finland est-il un artiste Pop ? Comment dépasser l’audience originelle de Tom Of Finland ?
Oh oui, c’est un artiste pop qui a très largement dépassé son auditoire sexuel du début. D’abord, Tashen a fait un immense travail de popularisation de ses dessins. A force de montrer un travail érotique comme s’il s’agissait de l’art populaire, ça devient de l’art populaire. Et puis, il y a quelque chose qui est important dans la vision de Tom. Avant, ses nus avec ces sexes immenses paraissaient osés. Aujourd’hui, c’est une forme d’érotisme qui est tellement connue à travers le monde que cela devient plus réel. C’est comme tous les comics qui exagèrent les attributs des héros et après on voit que les gens copient ces héros – et y parviennent. N’oublions pas les premiers T-shirts de Vivienne Westwood pour la boutique Seditionariesde la fin des années 70 avec un dessin de Tom montrant deux cowboys. C’était le point de jonction entre l’underground gay et le punk. A partir de là…
L’œuvre de Tom of Finland a été très controversée, notamment à la fin des années 1950. Le journal Physique Pictorial lui a même suggéré d’adopter ce pseudonyme… Pour vous, Tom a-t-il été une amorce culturelle et lumineuse pour une nouvelle libération d’expression ?
Oui, il a rendu populaires beaucoup d’idées liées à la culture gay : le nu d’abord, le côté SM et cuir, les fantasmes gays, une sexualité heureuse, une obsession du physique, et ensuite la présence des Noirs, ou sa manière de promotionner le préservatif. Je veux dire par là que Tom a initié, accompagné et vulgarisé les secrets de la culture gay. C’est un ambassadeur et il n’y a rien de plus universel que le dessin et la photographie pour faire comprendre une idée. Tom répondait aussi à des commandes, c’est ainsi que je lui ai commandé trois dessins en 1982. Tout le monde pouvait lui commander un ou plusieurs dessins (qui étaient assez chers) et il se pliait assez volontiers aux demandes : il pouvait faire un dessin soft, un dessin hard, un dessin promotionnel pour un bar ou un T-shirt. Mais il reste beaucoup de choses de Tom qui restent encore secrètes. Par exemple, je suis un grand fan de ses dessins en couleurs qui, à mon avis, ne sont pas assez connus.
Pensez-vous que les hommes toutes sexualités confondues peuvent s’identifier aux personnages de Tom of Finland ?
J’aimerais le penser, oui. Avant, il avait des gens qui trouvaient cette beauté exagérée vaguement aliénante. Je n’ai jamais pensé ça, je trouvais son travail tellement unique, excitant, positif, novateur. Il y avait un message très clair. Et puis, ensuite, avec tous les livres de Tashen, certains ont commencé à dire que le travail de Tom était trop connu, qu’il avait perdu une partie de son essence en pénétrant dans la culture pop. Chez les gays aujourd’hui, certains sont tellement habitués au style de Tom qu’ils le trouvent banal, galvaudé. Je trouve ça insensé. C’est le but de tout artiste, gay ou pas, de pénétrer dans des sphères culturelles plus larges. Si Tom vivait aujourd’hui, il serait émerveillé de voir des jeunes hétéros skaters ou des hiptsters de tous les âges adopter ses dessins sur des T-shirts tout simplement pace que, hey, c’est un joli dessin, ça veut dire quelque chose, c’est graphiquement parfait.
L’artiste japonais Hajime Sorayama est célèbre pour magnifier, exagérer et fétichiser l’iconographie féminine. Dans une conversation que nous avons eu avec lui, il nous confiait que « le fondement de l’art est d’étonner ». Cette définition trouve-t-elle une limite chez Tom of Finland ?
Je crois qu’on ne dessine pas des sexes si énormes si on a peur d’étonner ! Mais ce qui est fantastique chez Tom, c’est à quel point la réalité a rejoint son fantasme. Quand Tom a commencé ses premiers dessins, il était inimaginable de croire que des hommes pouvaient être anatomiquement si beaux, sous tous les rapports. C’était vraiment un travail de fantasme. On était obligés de se dire « Ah, si les hommes pouvaient être comme ça dans la réalité ! ». Et aujourd’hui, les hommes sont réellement comme ça, gays ou hétéros. Le corps humain s’est développé, et il suffit de regarder sur Tumblr une quantité hallucinante d’hommes qui sont des copies des dessins de Tom. Donc l’étonnement initial finit par se concrétiser dans la morphologie moderne et ça, c’est la preuve irréfutable de l’art qui étonne, puis qui se démocratise et enfin pénètre dans le monde at large, le monde tel qu’il est à travers la planète.
Autrefois distribuées sous le manteau, ses œuvres sont aujourd’hui reconnues pour leur qualité esthétique et exposées dans des galeries prestigieuses. Tom appartient-il déjà à l’inconscient collectif ?
Le travail de la Fondation Tom of Finland a permis de canaliser la perception du travail de l’artiste, d’abord en protégeant ses œuvres, puis en les marketant d’une certaine manière. Tom est un toujours produit gay, mais tout le monde, gay ou hétéro, connaît Tom. Avant, certains s’amusaient devant ses dessins, se moquaient un peu, probablement pour répondre à l’énormité de ce qu’il représentait. Ce rire cachait parfois une gêne. Il était too much. Aujourd’hui, le visuel Tom est devenu une marque artistique, comme la soupe Campbell de Warhol, c’est un trait de dessin générique, reconnaissable pour tous, un objet de mass culture. C’est un des rares exemple de création artistique érotique appartenant à une niche très précise et même underground qui devient accepté de tous. Il aura suffit 30 ans à peine pour que Tom passe du stade de meilleur secret homosexuel au stade de symbole universel d’une époque.
Merci.
C’est moi.