Porno La notion du temps dans le porno gay

Quand j’étais ado, ça m’énervait de voir que des artistes que j’adorais comme Bowie perdaient leur temps à composer des chansons sur le temps. Je me doutais bien que c’était un passage obligé sur un sujet éminemment philosophique mais je trouvais ça trop "Je vais faire du Jacques Brel". Quand on est jeune, cette idée du temps est un thème détesté car le seule chose qu’on espère, c’est que le temps s’accélère, justement. L’école c’est atroce, tout parait incroyablement lent, les jours se traînent, on a l’impression de faire du sur place et je crois que c’est une des raisons principales qui pousse les kids à prendre des risques, faire du binge drinking ou les partouzes après le lycée. Tuer le temps, c’est une occupation dangereuse en soi.

Après, on réalise qu’on ne contrôle toujours pas le temps. Un des slogans de France24, en ce moment, je ne sais pas si vous avez remarqu, c’est "Contrôlez le temps", as if ! C’est un cliché de dire qu’en vieillissant, les jours passent incroyablement vite, surtout si on ne s’ennuie jamais comme moi. On se réveille et on ne reconnait plus ce visage dans le miroir, il a perdu sa fraicheur de la trentaine, il glisse inexorablement vers l’appogiature de la vieillesse, vers quelque chose qu’on n’a jamais aimé, mais c’est le cours naturel des choses et la sagesse exige de l’accepter.

Heureusement, le porno est là pour nous apporter une version plus funky du temps qui passe, comme la nature qui nous entoure et le rythme des saisons. Vous avez déjà remarqué ces scènes de porno qui commencent en plein soleil et qui se terminent au crépuscule ? Il y a eu une catastrophe quelque part ? Un moment on était dans le foreplay à côté de la piscine et soudain on arrive au climax avec le coucher du soleil ? Mmmmm un problème de raccord à l’éditing ou bien un des mecs a débandé pendant toute l’après-midi ou il avait besoin d’un Kebab pour reprendre des forces ?

La notion du temps est un sujet absolument pas abordé dans le X car toute la production est basée sur l’instant, surtout à notre époque où tout se télécharge deux heures après la commercialisation du DVD ou à travers la VOD. Plus que jamais, le porno se consomme al dente, dès que ça sort du studio. C’est pourquoi il y a des niches commerciales qui se développent à vitesse grand V comme ces premiers films qui se sont spécialisés dans un délire particulier comme le léchage des pieds et les golden showers. Le premier réalisateur qui tape dans un fétichisme pointu va vendre plus que les autres car l’attente du fantasme a augmenté, les gens piétinent à l’idée qu’on réalise un film sur une pratique sexuelle particulière donc il y a une notion de suspense.

Mais le temps a toujours été un élément érotique dans le porno. Avant, les studios produisaient beaucoup moins de films. C’est au milieu des années 2000 que la machine s’est emballée avec une concurrence de plus en plus déstabilisante du porno amateur. Soudain, Raging Stallion, Hot House et Titan se sont mis à sortir des DVDs non stop, donc certains étaient de véritables épopées de 3, 4 ou 5 DVDs. Tandis que dans les années 90, on attendait que tel ou tel réalisateur finisse son film, comme on attendait que tel ou tel artiste finisse de produire son album.

Il y avait déjà une fascination pour les vieux films. Quand on a commencé à chroniquer sérieusement le porno dans Têtu à la fin des années 90, les films classiques des années 70 et 80 étaient quasiment introuvables. Il fallait faire les rayons de soldes chez IEM pour trouver un vieux Falcon que personne ne voulait acheter, ou aller à Amsterdam ou New York pour chiner dans les vieilles boutiques de cul pour trouver des films de Fox Studios avec des clones barbus, poilus, super bien foutus, le look classique de Castro quoi. Aujourd’hui, l’intérêt pour ces films pré-capote a rejoint la vague bareback mais ces films n’étaient pas des productions bareback : ils étaient juste le reflet de la baise gay avant que le sida n’impose les préservatifs, c’est tout.

Il y a donc dans ces films une appréciation du temps qui nous ramène à une essence homosexuelle que nous n’avons jamais connue. Soit parce qu’on n’était pas assez riches pour aller à San Francisco ou Fire Island de la Belle Epoque, soit parce que ces films étaient déjà une construction améliorée de la vie gay, un fantasme. Pourtant, ces films étaient (à part ceux de Colt Studios) très proches de la vie gay de SF. Falcon montrait les gays tels qu’ils étaient, comme on les voit dans les photos de We Were Here. Aujourd’hui, il y a des gens qui sont absorbés par ces vieux films vintage et de nombreux DVDs ressortent avec des versions plus fines que celles dont on disposait sur format VHS. Bien qu’on peut très bien imaginer qu’une nouvelle génération va s’exciter, ou s’excite déjà, sur le grain épais de l’image des VHS, exactement comme Instagram a favorisé l’amour des filtres sur les photos. Les gens ne sont pas seulement excités par ce qui est montré, ils le sont par le medium de la représentation. C’est la magie d’Internet, le message est le media et vice versa.

La musique de ces films, aussi, contribue beaucoup à cette fascination. Sur Gay Torrent, par exemple, on voit beaucoup de ces films classiques comme ceux de Bijou et tous les mecs qui aiment les fringues vintage, les sneakers des années 80, les débardeurs à couleur, les shorts en satin brillant ou les chaussettes de basketball sont totalement gagas de ces films. Ils les voient comme des œuvres d’art, quelque chose qui peut être projeté tel quel dans une galerie pour une performance. Et c’est ce qui est aussi très illustré par la musique de fond des films porno.

Maintenant qu’on, a dit ça, il faut se pencher sur le rythme du porno moderne. Tout s’est accéléré, comme dans la pop. Ce qui me fascine quand je regarde des films amateurs qui datent de 2002, c’est à quel point ils ont l’air d’avoir été produits aujourd’hui car... tout est si moderne. Alors que les films de 2002 des grands studios sont beaucoup plus marqués dans le temps. Avant le piratage via Internet, en Europe, on était très peu exposé à ces films américains amateurs. Et c’est aujourd’hui que l’on prend la mesure de l’immensité de ce qui a été produit depuis le début des années 2000. Dans Cheikh, par exemple, je parlais de ma découverte des films de Sneek Peek et quand je les regarde de temps en temps, je suis toujours sur le cul de voir à quel point ces films sont toujours d’actualité, en termes de style de mode, de look, de comportement, même d’activité sexuelle.

Comme les USA ont 5 ans d’avant sur nous, à tous les niveaux, on voit que les films amateurs sont le meilleur reflet de ce qui existe pour de vrai, au niveau sexuel et sociétal. Les thugs portent déjà des attributs vestimentaires qui sont exactement ce que les pédés portent aujourd’hui. Les tatouages sont très en avance aux USA alors qu’on nous a fait chier dans le porno traditionnel avec des tats tribaux (et ça continue encore, le pire). Le porno est vraiment un endroit où on crée une tendance, exactement comme un bureau de style qui viendrait de la vraie vie.

Comme dans le cinéma traditionnel, le porno nous montre comment les acteurs vieillissent. Il y a des acteurs qui semblent résister à l’usure du temps comme Arpad Miklos ou Antonio Biaggi. Mais, d’une semaine à l’autre, on peut voir un acteur comme Rod Daily réapparaître avec un tatouage tribal sur l’épaule alors que son tatouage religieux (deux mains tendues en prière) sur le côté du ventre était juste parfait. Ou Steve Cruz qui nous a fait chier à un moment avec un blog où il décrivait son évolution de tatouage (comme si ça nous intéressait). Les semaines passent et on peut suivre l’évolution de la pilosité des acteurs : un mec irrésistible comme Jarek chez Sean Cody qui se rase le torse, c’est une calamité). Ou une barbe qui apparait : chez Trevor Knight par exemple ou l’exemple ultime : Jahil Jafar chez Kristen Bjorn, totalement banal quand il était rasé et qui est devenu un des acteurs les plus hot de Now avec une barbe et des poils, ça le change complètement, d’ailleurs Cazzo l’a tout de suite embauché.

Le temps qui passe dans le porno, c’est souvent un gouffre avec ces acteurs qui étaient des exclusivité dans les plus grands studios il y a 5 ans et qui aujourd’hui ne trouvent du boulot que chez les studios indépendants. Ou pire, dans les studios bareback. Le temps qui passe, ce sont aussi ces acteurs qui décèdent, souvent d’une manière triste, mais pas vraiment plus triste que dans la vraie vie où il y a beaucoup de gays qui se suicident ou qui meurent d’overdose. Mais le temps qui passe, c’est aussi des acteurs qui réapparaissent avec magie après des années d’absence et qui sont pas mal du tout dans le genre Zack Spears qui a pris 15 kilos mais ça lui va très bien merci.

Avec le temps, va, tout s’en va, mais non justement, le porno est là pour figer les choses et garder ces acteurs à leur sommet de beauté et d’érotisme. Ce sont aussi des acteurs qui font le bon choix de partir au sommet de leur carrière comme Huessein, totalement immaculés dans leur gloire. Tandis que des hommes formidables comme Logan McCree, on les voit dégringoler dans une déception métaphysique de la vie, ils ont cru que le porno allait les sauver, et effectivement ils ont amassé une célébrité hallucinante, mais on sent qu’ils en ont morflé, que les gens les ont mal traités, qu’ils espéraient que quelqu’un, quelque part leur donnerait l’amour qu’ils attendaient à travers le sexe et ils rentrent bredouilles. OK, c’est certain, ils ont accumulé une expérience sexuelle et une érudition sur le cul qui fait que le simple fait de les toucher vous fait jouir mais avoir un tel pouvoir, c’est comme un artiste qui sait chanter ou un autre qui sait peindre, des fois ça vous sépare du reste du monde.

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