Politique / Sida Le Journal du Sida Avril 2011
Il y a quelques jours, j’ai reçu quelques exemplaires du dernier numéro de POZ, le magazine américain pour les personnes séropositives. Avec 6 pages d’article qui racontent mon travail sur le sida, je crois que je suis enfin sorti de ma période de purgatoire après mon licenciement de Têtu, il y a 3 ans. Ce n’est pas le sujet ici, je ne peux pas en parler, c’est un cliché du chômage, on est viré et il faut fermer sa gueule, même si ça vous fout en l’air. La colère est alors telle qu’on a presque envie de mourir — pour se venger. Le lendemain, on se réveille tricard de partout, persona non grata, et il faut tout recommencer à zéro, c’est ça ou disparaître dans l’amertume et le silence. Six pages dans POZ, c’est le remerciement que j’attendais de la part de la communauté VIH américaine et c’est le résumé de ce que j’ai essayé d’être, en tant qu’homosexuel séropo affirmé depuis maintenant 25 ans.
C’est un énorme poids qui disparaît, je suis libre à nouveau, j’ai mené ces trois dernières années en me battant, en refusant de m’avouer vaincu par la séropositivité et la traîtrise, le manque d’argent. Et j’ai réussi. J’ai deux livres qui vont sortir cette année, c’est la première fois de ma vie. Je ne sais pas si ces livres seront bons ou s’ils seront lus (après tout, je n’ai écrit que des livres qui ne se vendent pas, normal !) mais signer des contrats, être encouragé par des éditeurs, recevoir une avance sur recette correcte, c’est le signe que le travail reprend, que le sang circule toujours dans les veines, que le cœur fonctionne. Je n’arrête pas d’écrire, tous les jours, je produis comme jamais, et à n’importe quel moment je peux m’allonger sur mon lit quand une idée me vient et mon cahier est tout près et j’écris. J’écris avec une facilité que je n’ai jamais eue de ma vie. Cela me surprend à chaque fois et je me fiche si certains pensent que je radote sur le sida ou sur un autre sujet. Je produis ! Il y a encore quinze jours, quelqu’un disait sur Facebook que toute ma « carrière » était basée sur le sida et que si on me l’enlevait, il n’y aurait rien du tout. Ces critiques ne me gênent pas. Et puis, comment pourrait-on m’enlever cette maladie, je voudrais bien savoir. Le sida est passionnant, il y a toujours des choses nouvelles à dire et je n’ai pas honte de sortir encore un autre livre sur le sida.
Le sida m’intéresse toujours et je commence à me dire que si je n’ai pas fait mon testament, c’est à case de ça. Oui, vous pouvez vous moquer : je n’ai pas encore écrit mon testament. Après tous ces amis malades du sida qui sont morts sans avoir donné de directives, eh bien je suis comme eux. Un sorte de gêne à aller voir le notaire — et puis, je n’en connais même pas. C’est un signe de procrastination, je suppose. Mais je crois que je ne l’ai pas fait parce que je ne voulais pas mourir avant de faire surface à nouveau. Je voulais me venger de l’année 2008 en préparant, pas à pas, ma convalescence, en développant une parole indépendante, quitte à me tromper parfois, mais pour vivre. Parce que ces histoires de licenciement, c’est connu, c’est le premier pas vers la tombe. C’est un test qu’on l’on vous adresse : crève. N’importe quel ouvrier ressent ça. Et à travers Internet, FB, Twitter, Tumblr, je n’ai pas cessé d’embrasser les nouveaux modes d’intervention. Et l’article de POZ est le plus beau cadeau de que l’on pouvait me faire et je ne dis pas ça uniquement par plaisir de l’ego. Tout ce travail sur le sida, je l’ai fait parce que je courrais désespérément après l’exemple activiste américain et aujourd’hui j’ai enfin atteint cet exemple. Je me sens égal avec les gens que j’admire. Le complexe d’infériorité est parti.