Politique / Sida Le Journal du Sida Décembre 2010

Les résultats de l’essai iPreX suscitent un niveau de débat sur la prévention sans précédent dans le milieu scientifique. L’efficacité d’un traitement pour réduire la contamination des gays séronégatifs à haut risque ressemble effectivement à un vaccin. En comparaison, les premières annonces d’Hirschel en 2008 sur la non contagiosité des couples hétérosexuels avant une charge virale indétectable étaient superficielles, dans l’analyse et les effectifs. Hirschel voulait changer les enjeux de la prévention et de fait, certains se sont engouffrés dans cette idée, demandant des recommandations officielles qui permettaient, dans certains cas, l’abandon du préservatif. Irresponsable, car trop rapide.

En comparaison, iPreX est un essai qui a coûté 43.6 millions de dollars. C’est une étude internationale qui a suivi 2499 gays ayant une moyenne respectable de rapports sexuels et dont certains avaient des difficultés à rester fidèles au préservatif. En France, je trouve que cet essai n’a pas été beaucoup commenté. Je ne vois rien, en tout cas, qui atteigne le niveau de discussion actuellement mené dans les échanges de mails du groupe européen EATG ou dans l’article précis et intelligent de Jon Cohen dans Science du 3 décembre (il fat lire ce papier !). Ce dernier raconte que lors du rendu des résultats d’iPrex lors d’une présentation à l’hôtel Eden Roc de Miami, le 2 octobre dernier, de nombreuses personnes ont applaudi et se sont mises à crier de joie, une expression rarement vue dans la cadre des réunions sur le sida.

Les séronégatifs autour de moi devraient être réjouis, eux aussi, par la perspective d’un traitement préventif qui pourrait les protéger, à terme, contrer le VIH. Après tout, cet essai les concerne directement, même s’il s’avère (il suffit de lire ce qui est écrit) que ce sont surtout les séropositifs qui s’en réjouissent. La dangerosité du virus qu’ils portent est à nouveau réduite, sur le papier au moins. Les possibilités de traiter préventivement les personnes les plus à risque pourraient tenailler la transmission du VIH en amont et en aval, quand une véritable politique de Treatment as Prevention (TasP) sera menée dans les pays riches.

Et pourtant, les séronégatifs sont plus inquiets que jamais. Ils savent que ce nouvel argument scientifique va leur être proposé dans le cadre de la drague sur Internet, même si rien n’est entériné. Beaucoup de gays ont entendu parler d’iPreX et si certains ne sont pas encore au courant, ils le seront vite. Alors même que les politiques de prévention de sont pas officialisées et (surtout) financées par les gouvernements, la perméabilité de cette idée va concerner l’ensemble de la communauté gay. En premiers, les barebackers voudront utiliser les traitements, n’importe lesquels, pour vérifier par eux-mêmes – ce qu’ils font déjà en préparant des cocktails sexuels (PreP + Viagra + crystal + tout ce qu’on peut trouver au marché noir). A moyen et long terme, cela conforte l’idée, pour eux et pour certaines associations qui les défendent, que ce système de prévention sera disponible dans quelques années. S’il l’est dans deux ou trois ans, pourquoi attendre ? Le raisonnement est quasi scientifique.

La prévention est de plus en plus complexe. Aujourd’hui, tout le spectre de la prévention tourne autour du traitement. Quel retard intellectuel avons-nous pris à cause de ceux qui voulaient absolument séparer traitement et prévention. Les séronégatifs se plaignent : nous sommes dans une zone grise, entre des concepts prometteurs et la réalité actuelle de la drague et de la sexualité gay. Cette zone grise est celle dans laquelle nous allons errer, pendant quelques années, en attendant des données plus précises. C’est une zone grise, mais pour paraphraser Clinton, « It’s science, stupid ! ». Cette science qui nous oblige à évoluer, aussi vite qu’elle.