Politique / Sida Le Journal du Sida Septembre 2010
J’ai beaucoup de difficultés à faire comprendre l’idée de la visualisation positive à mon mari. D’habitude, il suffit que je le tienne dans mes bras pour qu’il s’endorme le soir, mais je sens parfois qu’il se perd dans ses pensées et que le sommeil ne vient pas. Dans le noir de la chambre, je lui dis doucement d’imaginer quelque chose qui lui fasse plaisir pour qu’il se laisse aller à rêver. Il me répond qu’il n’y arrive pas. Après un silence, je lui dis : « Mais si, tu peux. Tout le monde peut imaginer une idée agréable ».
C’est Luc Coulavin qui m’a expliqué ce qu’était la visualisation positive. En 1988, pour lui, c’était quelque chose qui faisait déjà partie de son hygiène de vie et cela prenait une part importante de son équilibre. Mais il m’avait dit que si je n’arrivais pas à faire ça sur commande, je pouvais m’entraîner le soir, avant de dormir. C’est la version pauvre de la visualisation positive, celle qui aide à trouver le sommeil. Aujourd’hui, les jeunes aiment bien s’effondrer dans le lit sans se préparer pour leur nuit, mais le lit reste toujours le meilleur endroit pour rêver. Et quand on a des problèmes, des soucis ou des idées noires, ces pensées nous bousculent le soir, elles s’entrechoquent, elles nous hantent et soudain on se trouve bousculé dans tous les sens par un rollercaster d’idées affreuses, de cauchemars éveillés. Luc me disait qu’il suffisait de commander au cerveau : il devait chasser ces idées noires en les remplaçant par de l’agréable. D’abord on fait le point sur la journée, ce qui a marché, ce qui a raté, ce qu’il faut faire le lendemain. Mais sans trop entrer dans les détails des 1000 choses à faire. Ensuite, si le lendemain est vraiment trop flippant (je sais pas moi, aller au Pôle Emploi, à l’hôpital, à un enterrement, à un boulot qui vous rend malade), on peut quand même essayer de trouver une idée agréable. Imaginer ce qui vous ferait vraiment plaisir. N’importe quoi.
Moi, par exemple, ça a longtemps consisté à m’imaginer sur une plage du Pacifique. Quand j’étais plus jeune et que je faisais des voyages longs et ennuyeux, je pouvais me voir dans la maison dans laquelle je vivrais un jour. Ce que je ferais dans le jardin. Ou j’imaginais vivre avec tel ou tel homme que je connaissais. Ou je pensais au jour où je cesserais de m’activer contre le sida. Comment serait la vie dans un endroit sans bruit. Ou voyager dans des endroits à l’autre bout du monde comme la Nouvelle-Zélande, l’Australie, les îles japonaises du Pacifique, l’Amérique, le Mexique, le Brésil, l’Argentine, l’Afrique. Ou tout simplement la Grèce ou la Sicile. Passer une journée sous un baobab. Remonter le temps. De fait, je ne suis jamais allé dans ces endroits et je n’ai toujours pas vu le moindre baobab.
On aurait du faire des cours de visualisation positive à tout le monde dans le sida. Au début d’Act Up, on en a parlé, mais ça n’a pas duré longtemps. A 30 ans, je n’arrivais pas à faire comme Luc, mais j’étais persuadé qu’il avait raison. Si je m’entraînais, j’y arriverais un jour. En réalité, ça a marché au bout de dix ans. Et ça fait dix ans que ça marche. Si j’ai le silence, je peux me transporter où je veux. Comme tout le monde, j’ai des idées noires avant de m’endormir, mais je peux dire à mes mauvaises pensées de s’en aller si je leur donne du matériel plus agréable. Des fois, je m’entends dire à mon cerveau : « Ah non, ça suffit comme ça » si les idées noires reviennent en cachette et là, ma volonté l’emporte. Je peux même sortir le bazooka de la pensée positive : le sexe. Imaginer tel acteur ou tel sportif à côté de moi.
Mais dans 99% des cas, il me suffit de me concentrer sur une idée positive plus concrète, plus abordable. Comme : quand la pluie va arriver, vraiment ? Mon jardin est à sec, ma pelouse est grillée. C’est impossible de commencer les boutures. Je n’ai pas eu un seul orage cette année, moi qui adore le tonnerre ! Et je rêve alors de l’odeur du jardin quand il sera enfin trempé. Quand je pourrai diviser les vivaces sans danger. Ou semer toutes les graines que j’ai récoltées. Alors, ça me rend tellement heureux que je m’endors tout de suite. Je suis le bon élève de Luc, je suis son Obiwan.